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Dossiers
The Worlds Divide : une aventure de production
Anatomie du nouveau phénomène de l’animation indépendante
25 mai 2025
Par Zel

Nous avons assisté aux rares projections de The Worlds Divide sélectionné, au festival d’Annecy, dans la catégorie “Annecy s’anime” en juin dernier. Intrigué·es par ce projet depuis ses premières bandes-annonces, nous avons été marqué·es par l'audace et les nombreuses qualités de ce long-métrage unique en son genre. À travers ce film, nous avons découvert un studio d’animation indépendant remarquable et un véritable auteur dont la singularité de chaque projet est palpable. Avec ce dossier, nous vous invitons à plonger dans l’univers du réalisateur de The Worlds Divide : Denvers Jackson.
Cloudrise Pictures, un studio indépendant ambitieux

© Crédits photo : Émilie Canale
C’est en 2016 que le réalisateur canadien Denvers Jackson a créé le studio indépendant Cloudrise Pictures, après sa première création en solitaire : Cloudrise. Ce court-métrage a été salué dès sa sortie puisqu’il a été entièrement animé et scénarisé par Denvers Jackson, dont les talents ont immédiatement été plébiscités. Il est épaulé par le compositeur Marc Junker et David Parfit pour le mixage sonore.
Racontant comment deux êtres aimés font littéralement le grand saut pour se retrouver dans un univers de science-fiction/cyberpunk, d’autres courts-métrages ont fait suite à celui-ci : SOS Somnius et The Wishing Jar.

Ces deux productions prennent elles aussi place dans des univers fantastique/cyberpunk et possèdent une atmosphère unique grâce à leur sound design et leur bande originale. Dans SOS Somnius, nous découvrons Aria qui suit la piste d’un SOS lancé par sa mère disparue. La jeune fille est amenée à parcourir la galaxie et résoudre le mystère de son vaisseau, le Somnius, pour retrouver sa mère. Ce court-métrage qui emprunte dans son esthétique et ses thématiques à Avatar : le dernier Maître de l’Air a été récompensé par le prix de la Meilleure Animation lors du festival StoryHive et a aussi reçu un Leo Award pour la meilleure composition musicale en 2018.

En produisant ces court-métrages avec son jeune studio, Denvers Jackson trouve une place pour raconter des histoires et continuer de développer ses talents d’animateur. Le studio continue de se distinguer dans le paysage de l’animation indépendante grâce à The Wishing Jar. Ce court-métrage met en scène une petite fille nommée Ruby qui explore un monde aussi merveilleux qu’un rêve, mais qui doit faire face à une matière noire étrange qui la traque. Bien que ce soit seulement la troisième production du studio, The Wishing Jar a été sélectionné dans de nombreux festivals et a reçu plusieurs prix dont le Grand Prix du festival Heartland Film Festival, le Prix de la Meilleure Animation lors du San Diego Comic-con Independent Film Festival et enfin le Prix du public lors du Victoria Film Festival.

Les multiples récompenses de The Wishing Jar témoignent de la qualité du travail de Denvers Jackson et en particulier de sa polyvalence dans le domaine de l’écriture et du storyboard en plus de ses talents d’animateur. C’est dans ce court-métrage que le studio a puisé sa future mascotte : un poisson rouge géant surmonté d’une lanterne et d’une habitation, une monture parfaite pour partir aux confins de l’imaginaire.

Alors que le studio d’animation Cloudrise se développe, la patte du réalisateur prodige commence déjà à se manifester avec des productions percutantes émotionnellement, des univers énigmatiques aux décors splendides et enfin des combats réalistes à la chorégraphie pensée au millimètre près. Sur l’aspect technique, ses réalisations se dotent d’une caméra dynamique, capable de rendre compte d’une profondeur de champ impressionnante où se déplacent les personnages, permettant de les suivre n’importe où dans l'action.
Succèdent à ces formats courts des productions plus conséquentes telles que Esluna : The First Monolith, une série d’animation en neuf épisodes disponible sur YouTube, sortie en 2019, ou encore le premier long-métrage du studio The Crown of Babylon, sorti en 2021. Ce film est la suite directe de la série The First Monolith et prend place dans le même univers cyberpunk/fantastique d’Esluna.
En peu de temps et malgré de grosses sorties en parallèle, le studio continue ses activités et sort Orbital n°2 qui fait office de remake de Cloudrise. Ce « nouveau » court-métrage est aussi puissant que l’original et corrige certains détails sur le plan technique. Ce court-métrage utilise un mélange d’animation 2D/3D, avec une animation encore plus fluide. Le worldbuilding (construction d’univers) est plus fourni en termes de détails sur les aspects cyberpunk de son univers, comme les tenues des personnages, les villes et les dirigeables. Avec la nouvelle animation, les émotions des personnages sont plus subtiles et plus fluides. En l'espace de sept ans, la progression de Denvers Jackson sur tous les aspects de réalisation est impressionnante.
Comparatif des mêmes plans entre Cloudrise (2016) à gauche et Orbital n°2 (2023) à droite
© 2024 Cloudrise Pictures Ltd.
Parmi les projets sur le feu, Denvers Jackson commence à travailler sur un récit plus intimiste et ancré dans le réel avec le court-métrage The Yellow Koki. Il y fait le récit d’une petite fille qui souhaite obtenir l’attention du garçon qu’elle aime en lui jetant des glands. Ce changement de registre montre la volonté du studio à vouloir bâtir tout type de récit.

Cependant, The Yellow Koki ne sera pas pour tout de suite. En effet, Denvers Jackson a un autre projet sur la planche, un projet encore plus ambitieux qu’il a en tête depuis longtemps : il souhaite réaliser un long-métrage encore plus époustouflant que The Crown of Babylon. C'est dans ce contexte créatif, celui de repousser les limites de l’animation indépendante, que sort la première bande annonce de The Worlds Divide. Ce film de science-fiction nous embarque de nouveau dans le monde mystérieux d’Esluna et promet d’être dantesque.
The Worlds Divide, dernière partie du triptyque Esluna
Une réalisation en solitaire épatante

Aux côtés de la série The First Monolith et du long métrage The Crown Of Babylon, The Worlds Divide fait partie d'un large univers cyberpunk fantastique nommé Esluna, entièrement développé par Denvers Jackson. Inspiré par des oeuvres comme Akira, Ghost In The Shell, Zelda : Breath of the Wild ou encore les films de Makoto Shinkai (Your Name, Suzume), Esluna est un univers mystérieux où la nature luxuriante côtoie les vestiges d’une technologie passée et oubliée. Ce monde est gouverné par les descendants d’une mystérieuse lignée sacrée leur conférant des pouvoirs télékinésiques uniques, appelés bloodwind (qu’on pourrait traduire par « souffle sanguin »).

Le film met en scène la jeune Natomi, qui vit sur une Terre futuriste et dystopique en proie à des guerres. Pour la sauver de ce funeste destin, son père l’envoie avec son jeune cousin sur le monde d’Esluna grâce à un portail magique. Sur cette planète qui semble radieuse grâce à sa végétation abondante, Natomi se réveille seule dans un monde dont elle ignore tout. Elle doit retrouver sa famille mais aussi un moyen de rentrer chez elle avec l’aide de ses nouveaux amis. Sa quête la pousse à explorer les terres mystérieuses d’Esluna où son père est perçu comme une divinité entourée de prophéties. L’arrivée de la jeune fille dans ce nouveau monde ne fait pas l’unanimité, en particulier auprès de la famille royale qui souhaite la neutraliser. En effet, depuis son arrivée à Esluna, Natomi a éveillé des pouvoirs aussi puissants que la reine Idena…

L’ouverture du film commence par le carton d'information suivant :
“This feature film was written, directed and animated by a single film maker.” |
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« Ce long-métrage a été écrit, réalisé et animé par un seul cinéaste. » |
Ce carton d’information apporte un élément de contexte essentiel sur la production du long-métrage. Sa lecture suscite déjà de l’admiration : réaliser un long-métrage d’animation en quasi-solitaire demande un temps considérable et une grande polyvalence. De plus, sa lecture nous invite à l’indulgence : le film peut avoir des défauts, qui s’explique par le fait qu’une seule personne ne peut maîtriser tous les domaines de production dans ses moindres détails. Chaque étape de fabrication d’un film demande toujours une équipe dédiée à elle toute seule.

The Worlds Divide est très solide techniquement, et les quelques défauts techniques ne gênent en aucun cas le visionnage, tant ce sont de petits détails.
On pourrait reprocher que la répétition de la boucle de mouvement de simulation des foules est parfois répétitive et se remarque assez vite. Ou que l’expressivité des personnages peut parfois tomber, pour certain·es, dans la vallée de l'étrange (avec des mouvements qui ressemblent à ceux de robots humanoïdes) ; mais plutôt que des défauts d’animation, je vois les personnages comme sujets à leurs émotions et donc transformés par la colère ou la tristesse par exemple.
Toutefois, en gardant en tête que le film n’est réalisé que par une seule personne, on excuse bien volontiers ces défauts — voire même, on en vient à les chérir, car ils témoignent aussi de la seule détermination de Denvers Jackson.
© 2024 Cloudrise Pictures Ltd.
L’animation est grandiose et fourmille de détails, dans les tenues des personnages ou les vaisseaux par exemple. Le mélange d’animation 2D et 3D est parfaitement équilibré. Les effets spéciaux d’explosions ou d’eau se greffent parfaitement aux décors et autres éléments. Les atmosphères sont très bien travaillées que ce soit par les couleurs, la lumière qui immergent entièrement les spectateur·ices. Le contraste entre la Terre, (plus proche de Blade Runner) et le monde d’Esluna (aux notes ghibliesques) est très bien pensé et efficace.
© 2024 Cloudrise Pictures Ltd.
Les combats sont dantesques et superbement chorégraphiés. Chaque confrontation est intéressante, visuellement spectaculaire et ravira l'œil des spectateur·ices. Chaque impact de coup est sensationnel et pensé au sein du système cohérent du bloodwind, proche des éléments dans Avatar Le Dernier Maître de l’Air ou encore la Force dans Star Wars.
La cinématographie est également très bien pensée. Certains plans vastes sont impressionnants, le montage est efficace et le split-screen final est diablement ingénieux. L’exploration d’Esluna et de ses décors m’ont émerveillée tout comme les compositions musicales de Marc Junker et David Parfit, qui rendent le voyage dans cet univers encore plus immersif. Le doublage pour ce projet indépendant est d’une grande qualité, ce qui rend très crédible les personnages.

La construction d’univers est méticuleusement maîtrisée et tous les termes propres à son univers comme le bloodwind par exemple peuvent facilement être appréhendés par les spectateur·ices. Bien que The Worlds Divide soit la suite de The First Monolith et de The Crown of Babylon, il est tout à fait possible de voir ce film de manière indépendante sans avoir les deux œuvres précédentes. Le film a un point de vue nouveau sur Esluna, soit celui de Natomi qui est totalement extérieure à ce nouveau monde comparé aux autres personnages de la série The First Monolith qui sont natifs de Esluna et que l’on retrouve ensuite dans The Crown of Babylon.
L’émotion au centre du récit
Du côté de son rythme, le long-métrage est prenant. La course contre la montre imposée à Natomi pour rentrer chez elle nous tient en haleine. Les pistes semées pour que la jeune fille puisse retrouver sa famille nous impliquent énormément émotionnellement en tant que spectateur·ice, ce qui d’autant plus frustrant lorsque les pistes ne sont pas concluantes. Les multiples confrontations entre les protagonistes et antagonistes offrent un véritable affrontement idéologique et amènent vers un climax et une résolution de fin sensationnels et très émouvants.
Les personnages sont attachants et révèlent tout leur potentiel grâce au récit. Les intéractions des personnages secondaires comme Bataar et Miito sont un délice à suivre étant donné qu’ils passent leur temps à se lancer des piques, ce qui ponctue le film d’humour sans pour autant briser les enjeux du récit. Les autres personnages de l’équipe de Natomi sont aussi très sympathiques et tous se révèleront être un atout, à l’image du personnage de Roko, qui est certes le clown de la bande mais aussi un excellent pilote.

Pour ce qui est du traitement du personnage principal, Natomi est très réaliste et fonctionne bien, ce qui permet tout de suite aux spectateur·ices de comprendre ses intentions, ses sentiments de s’attacher à elle. Cette dernière adopte très vite une posture d’anti-élue : Natomi ne veut pas de ses pouvoirs et encore moins se retrouver au centre de prophéties. Elle souhaite seulement rentrer chez elle, retrouver sa famille. Pour autant, tout son parcours au fil du récit est superbe à suivre. Sur Terre, le contexte belliqueux l'empêchait de s’ouvrir aux autres et elle devait se débrouiller seule. Grâce à son aventure, elle apprend à se reposer sur des personnes qu’elle aime, leur faire confiance, et s’ouvrir à de nouvelles rencontres.
Le film possède d’autres thématiques comme l’amour, la bienveillance, la famille, l’amitié et comment cela nous nourrit et nous rassemble. Ce sont peut-être des thèmes convenus et qu’on pourrait qualifier de mielleux, trouvables dans d’autres récits, mais pour autant leur exécution dans The Worlds Divide fonctionne à merveille. En effet, ils sont en opposition directe avec d’autres thèmes très forts comme se libérer de relations aux figures toxiques, le pardon ou encore briser le cycle de la violence qui tourmentent certains personnages. Ainsi, il est plaisant de voir Natomi évoluer vers une meilleure version d’elle-même, dans un environnement plus sain, au milieu de personnages qui l’apprécient profondément.

Le film propose en sous-texte une dénonciation du validisme (système d'oppression sociale et de discrimination faisant des personnes sans handicaps la norme). C’est en particulier le cas lors de la scène de la confrontation finale entre Natomi et l’antagoniste final·e. Les dernières paroles de Natomi envers ellui traitent de ce sujet et font même réaliser à l’antagoniste qu’iel avait tort. Dans cette histoire où la thématique d’émancipation du cycle de la violence prend une place importante, Natomi s'accomplit et se révèle comme un très bon protagoniste, à la fois marquant et attachant.
Le personnage de la Reine Idena est une antagoniste terriblement charismatique, prête à tout pour réussir même si elle en vient à s’isoler encore plus. Cette dernière et Natomi sont les deux faces d’une même pièce : leurs parcours ont été méticuleusement construits en miroir. Toutes leurs confrontations au fil du film ne sont que le reflet de leurs développements en tant que personnages apportant encore plus d’enjeux au récit. Il est plaisant de constater que dans The Worlds Divide, les deux forces narratives et dramatiques du récit, protagoniste et antagoniste, sont des personnages féminins. Ce sont des portraits de femmes fortes aux caractères bien différents : là où Natomi est résiliente et sensible , Idena est quant à elle calculatrice et impitoyable. Tout au long du long-métrage, les deux femmes restent attachées à ces traits ; pour autant, ça ne signifie pas qu’elles restent figées en tant que personnages et qu’elles n’évoluent pas au fil du récit. En plus d’accorder une place centrale aux personnages féminins, l'œuvre fait la part belle aux représentations racisées, puisque l’ensemble des personnages principaux, à savoir Natomi et sa bande, sont des POC (personnes de couleurs). C’est un casting de personnages qui est encore sous représenté dans le milieu de l’animation auquel The Worlds Divide apporte de la visibilité.
Natomi et Idena — © 2024 Cloudrise Pictures Ltd.
Pour revenir sur le récit, l'appréhension des plotwists qui s’installent vers la fin du récit pourra gêner certain·es spectateur·ices. Pour autant, ils ne nuisent pas au film et créent au contraire des ironies dramatiques intéressantes (c'est-à-dire connaître une information que les personnages ignorent), qui nous mettent dans l’appréhension de leur réaction, étant donné que nous les avons suivis tout au long de l'intrigue.
Avec ce film, le jeune réalisateur démontre de nouveau ses talents de scénariste en bâtissant une histoire cohérente et prenante, en écho avec ses précédentes productions prenant place dans le monde d’Esluna.

Un processus de création de longue haleine
De l'idée à la réalisation
Si le long-métrage raconte une histoire prenante aux multiples rebondissements, son parcours de fabrication jusqu’à sa diffusion au festival d’Annecy est tout aussi passionnant.

La créativité et la narration d’histoire ont toujours été présentes chez Denvers Jackson comme une seconde nature même depuis 2011, où il officiait en tant qu'artiste d’effets visuels dans des productions indépendantes en prises de vue réelles. L’objectif de réaliser un long-métrage était déjà dans l’esprit du réalisateur, si bien qu’avant même la création de son studio Cloudrise Picture, Denver Jackson avait écrit le script de deux long-métrages dont The Worlds Divide, qu’il envisageait déjà comme un film d’animation. Pour autant, si l'écriture est venue aisément, la production d’un film s’est révélée être bien plus ardue.
Denvers Jackson a donc passé des heures à éplucher des making-of de films d’animation mais aussi des sites internet, forums et tutos pour apprendre en autodidacte toutes les étapes de fabrication d’un long-métrage d’animation. Afin de mieux apprendre, il a segmenté chaque phase de production : l’écriture, le storyboard, le layout, l’animatique, la création de décors, le design des personnages, l’animation, le compositing, le montage etc…
En effet, en traitant chaque étape individuellement, Denvers Jackson a pu travailler seul sans se sentir submergé sur chaque phase de son court-métrage à la fois. La finalisation et le succès de son Cloudrise l’ont conforté dans son objectif : pour lui, réaliser seul un film d’animation est possible. Cette succession de réalisations de courts-métrages a permis à Denvers Jackson de gagner en polyvalence et en confiance en vue de produire ce long-métrage.

Au départ, le film ne devait durer qu’une soixantaine de minutes. Mais cette durée était à cheval entre le format long et le format court : Denvers Jackson s’est donc orienté sur le format web-série, qui permettrait de raconter son histoire dans son ensemble. Seulement, la transformation du script de The Worlds Divide du film en série revenait à couper certains points de l’intrigue et des personnages. C’est là qu’a germé l’idée de produire une série spin-off à son long-métrage, titré Esluna : The First Monolith.
Denvers Jackson s'était donné huit mois pour produire 60 minutes de cette nouvelle série avec au menu plus de scènes d’action, plus de moments clés entre les personnages et une qualité d’animation qui surpasserait tous ses projets existants. Pour autant, ce nouveau format lui a posé beaucoup de difficultés en termes de réalisation. Il n'a pu produire que peu de séquences d’animation à la main, ce qui l’a forcé à se tourner vers la rotoscopie, un procédé permettant d'utiliser en référentiel des prises de vue réelles. Denvers Jackson a également souffert physiquement lors de cette période : à force de travailler sans vraiment écouter ses limites, sa main le faisait constamment souffrir, au point de devenir totalement inutilisable. Le réalisateur semblait être alors confronté à l’impossible.
L’animation 3D à la rescousse du projet
Bien qu’il n’ait pas réussi à tenir sa deadline de huit mois, l’idée d’adapter le script de The Worlds Divide était toujours présente dans l’esprit du jeune réalisateur canadien. C’est d’abord sous la forme d’un roman graphique que l’univers de The Worlds Divide commence à prendre vie mais l’envie de produire une œuvre animée demeurait.

Sur son temps libre, Denvers Jackson commença à apprendre en autodidacte les principes de l’animation 3D. Bien que l’animation traditionnelle soit chère à son cœur, il commença alors à produire des tests d’animation mélangeant animation 2D et 3D, permettant ainsi de reposer sa main puisque qu’il n’aurait pas à dessiner chaque élément.
Pour autant il n’était pas prêt à se lancer dans la réalisation de The Worlds Divide. À la place, il réalisa The First Monolith faisant office de test à ce nouveau mode de travail, pour lequel il se laissa deux années entières. Le réalisateur canadien a pu ainsi expérimenter son nouveau style visuel mais souhaitait pour autant conserver certains éléments en animation traditionnelle, comme les expressions du visage et le mouvement des cheveux.
À ses yeux, son animation 3D n’était pas parfaite et dessiner par-dessus pour rectifier des détails faisait partie du processus de production. Cela a mené à une animation certes limitée techniquement mais malgré tout, il s’agissait d’un pas dans la bonne direction. Le film n’a pas pu combler toutes les attentes de son réalisateur perfectionniste, mais ce dernier y a vu du potentiel pour réaliser The Worlds Divide.
Suite à la réalisation de The Crown of Babylon, Denvers Jackson a travaillé énormément en tant que freelance pour économiser le plus possible pour se lancer à nouveau dans un long cycle de production de deux ans avec The Worlds Divide. Le réalisateur voulait proposer une animation encore plus qualitative que ses court-métrages et son premier film. Pour la première fois, Denvers Jackson a fait appel à d’autres personnes pour l’aider dans la production et apprendre encore plus en profondeur l’animation 3D. Un directeur·ice technique et un modeleur·se 3D ont rejoint l’aventure The Worlds Divide pour le conseiller et le soutenir. Étant habitué à utiliser l’animation 3D seulement depuis peu, Denvers Jackson avait encore quelques difficultés pour la modélisation de personnages et le rigging — une technique d’animation 3D qui permet d’animer des éléments à travers la création d’un squelette numérique permettant à un modèle 3D de se mouvoir très facilement, tout en lui accordant une grande palette d’émotions.

C’est au bout de deux longues années de production que Denvers Jackson s’est aperçu qu’il aurait besoin de plus de fonds pour plusieurs étapes à venir, telles que la composition musicale, le mixage sonore et l’enregistrement des voix. Il a donc lancé une campagne de financement participatif sur Kickstater et les premières images de son projet de long-métrage ont immédiatement séduit les internautes. La somme nécessaire a été récoltée en 5 jours. Au total c’est plus de 100 000 $ (sur un objectif initial de 41 500 $) ont été récoltés, ce qui a permis à Denvers Jackson de finir son long-métrage dans son intégralité mais aussi de débloquer des paliers supplémentaires exclusifs, comme la fabrication de produits dérivés (artbook, storyboards, vinyle de la bande originale)

La reconnaissance et la consécration
The Worlds Divide a été sélectionné en juin 2024 au festival d’Annecy dans la catégorie « Annecy s’anime » aux côtés de grosses productions comme Garfield, le Film, Look Back ou encore Le parfum d’Irak. C’est en exclusivité mondiale qu’ont eu lieu les premières projections du film qui ont été unanimement félicitées.

Depuis presque un an le film a eu un beau parcours en festivals tels qu’au festival Pixelalt au Mexique, dans trois festivals au Canada : l’Ottawa International Festival, le Victoria Film Festival et le Toronto Animation Arts Festival International. Il a aussi été sélectionné au festival Sitges en Espagne, au Heartland Festival au Danemark, Filmquest aux Etats-Unis, au Niigata International Film Festival au Japon.
Le film a également reçu deux prix dont celui du Meilleur réalisateur aux Collision Awards et le Prix du Public au festival Future Gate Sci-Fi Film Festival à Prague. Denvers Jackson cherche actuellement à ce que le film puisse bénéficier d’une sortie publique. La sélection de The Worlds Divide dans ces multiples festivals témoigne de la force des projets indépendants audacieux et qualitatifs. Avec ce long-métrage, on est en droit d'espérer que l'industrie prenne plus en compte l'animation indépendante.

En définitive, le chemin de production de ce long-métrage fut long et difficile pour le réalisateur canadien, qui a énormément investi de sa poche, a abattu une quantité de travail monstrueuse et fait preuve de nombreux sacrifices personnels. Sa santé physique et mentale ont également été mises à mal, même si à travers ce chemin de production, il y a vu un moyen stimulant de repousser les limites de sa créativité. Bien que Denvers Jackson ait consolidé la voie de l’autodidacte dans le monde de l’animation indépendante, celle-ci ne s’est pas faite de manière saine pour lui. Nous espérons que son prochain projet ne sera pas aussi difficile, humainement faisable et sans se mettre à risque financièrement. Il est important que la passion ne soit jamais un prétexte pour détériorer la santé des créateur·ices.
En attendant sa prochaine production, nous gardons un excellent souvenir de cette séance (le meilleur de tout Annecy 2024 personnellement) et nous souhaitons le meilleur à son réalisateur.
- Cloudrise Pictures : https://www.cloudrisepictures.com/
- Bluesky de Denvers Jackson : https://bsky.app/profile/djaxx.bsky.social
- Instagram de Denvers Jackson : https://www.instagram.com/denver.jackson/