She-Ra et les Princesses au pouvoir

Les cartoons puisent leur inspiration partout où la pop culture existe : les transformations magical girl en font partie. Ce dossier est aussi l'occasion d'en questionner les figures genrées et stéréotypées.



Dans le monde de l’animation occidentale, les dessins animés à destination des jeunes filles ont longtemps été mésestimés, voire moqués pour leurs personnages naïfs ou « niais ». Comme pour beaucoup de sujets attribués à des caractéristiques féminines, ceux-ci ont été jugés dénués d’intérêt pour une grande partie des fans d’animation, jusque très récemment, à la fin des années 2010, qui a vu émerger des nouveaux cartoons à succès reconnus pour leur diversité ou l’évolution des personnages et de leurs aventures (Steven Universe, My Little Pony Friendship is Magic, Gravity Falls, Adventure Time). Avant cela, les dessins animés « pour filles » étaient associés à des valeurs dites féminines, comme la faiblesse ou l’amour, à l’instar des shojos de l’animation japonaise.

« Notez que toutes les séries de Magical Girl ne sont pas forcément des séries pour filles d’ailleurs ! Sailor Moon par exemple : soyez honnêtes, messieurs *rire*, on était quand même nombreux à regarder cette série sans jamais l’avouer devant les potes dans la cour de récré ! » - Jouer du grenier, Spécial dessins animés pour filles, Youtube, 29 mars 2012 

Comme si le fait que des garçons puissent apprécier un anime le rendait par essence non-féminin. Nous reviendrons sur cette phrase plus tard, car elle illustre une volonté des sociétés de production des Magical Girl.

Mais les similarités entre les dessins animés « pour filles » et les shojos vont plus loin qu’un regroupement de caractéristiques féminines. En réalité, beaucoup de cartoons, que ce soit dans les années 2000 ou aujourd’hui, sont inspirés d’animes japonais, et notamment par un genre très particulier, celui des Majokko et des Magical Girl, auquel nous devons un type de séquence aussi codifié que virtuose : les séquences de transformation.

L'arrivée des séquences de transformation chez les magical girl japonaises

Les origines : les Majokko des années 1960 à 1990


Sally The Witch ou Sally La Petite Sorcière, 1966

Si les séquences de transformation viennent des animes de Magical Girl au Japon, pendant plusieurs décennies leur existence même n’était pas une évidence. Aux États-Unis et en Europe, les premières Magical Girl comme Sailor Moon (1993 pour la première diffusion en France, 1998 aux Etats-Unis) ont introduit des séquences de transformation longues et détaillées, mais les premières Magical Girl (ou « Majokko » à l’époque, littéralement « fille magique ») ne traversaient pas une transformation aussi sophistiquée. Ainsi, Sally la petite sorcière changeait simplement de robe, sur un plan de demi-ensemble fixe en noir et blanc. Celle-ci est largement reconnue comme la première Magical Girl apparue sur les écrans, en 1966, et est elle-même inspirée du feuilleton américain Ma Sorcière Bien-Aimée diffusé dès 1960, comme en témoignent les génériques animés et le pitch des deux programmes dans lesquels une sorcière prétend être une terrienne. 


Le générique de Bewitched (1960) et le générique de Sally la petite sorcière (1966)

Dans les années 1970 défilent alors des magical girl du studio d’animation Toei, chacune avec ses propres avancées : Himitsu No Akko-Chan (1969) apporte le premier accessoire de transformation, un miroir qu’il suffit de regarder pour porter une tenue différente sur le plan large suivant. En 1971, Merveilleuse Melmo est le premier shojo à introduire une transformation corporelle complète. L’anime se veut être un guide d’éducation sexuelle pour les tout-petits, et c’est ainsi que l’on découvre les premiers effets de rajeunissement et de vieillissement des Magical Girl, et malheureusement les premiers plans sur les culottes de très jeunes filles une fois qu’elles sont transformées en jeunes femmes. En 1972, Mahotsukai Chappy ou Chappy la Magicienne, une copie de Sally The Witch, produite par le même studio, n’utilise pas de transformations mais introduit les premières baguettes magiques.


Himitsu No Akko-Chan (1969), Merveilleuse Melmo (1971), Mahotsukai Chappy (1972)

C’est en 1973 que les transformations telles qu’on les connaît peuvent être identifiées sur les écrans japonais, bien avant les diffusions d’animes de Magical Girl en France ou aux Etats-Unis. Miracle Girl Limit Chan (Mirakuru Shoujo Rimitto-Chan) marque l’apparition de la science-fiction dans le genre, et permet l’utilisation de nombreux gadgets ou accessoires pour justifier des capacités de l’héroïne, qui se transforme pour la première fois sur un fond scintillant. La même année, Cutie Honey révolutionne le genre. Son créateur, Go Nagai, définit l’anime comme un shônen, mais il construit en réalité de nouvelles normes pour les Majokko, notamment dans l’utilisation des séquences de transformation. L’héroïne n’est plus une petite fille mais une jeune femme, pensée avant tout pour plaire au regard masculin, qui affronte chaque semaine un monstre différent. En raison du public visé, l’esthétique sexy prend le pas sur l’ensemble de l’anime, et les séquences de transformation s’en trouvent changées. Celles-ci sont déclenchées par un bijou magique et une phrase d’activation (« Honey flash ! »). L’héroïne est alors transportée dans les airs et suit une chorégraphie de mouvements complexes, en rythme avec un thème musical ré-employé à chaque épisode. C’est aussi avec cet anime que la transformation requiert dorénavant des passages de nudité, ici clairement sexualisés.


Miracle Girl Limit Chan (1973) et Cutie Honey (1973)

Les transformations de Cutie Honey devraient sembler familières, puisque beaucoup de celles qui ont suivi ont repris leurs codes, quasi à l’identique. Et cela fait écho à la phrase du Joueur du Grenier citée en début d’article : les animes de Magical Girl sont des dessins animés qu’on associe aux jeunes filles, mais en réalité, dans leur histoire et leurs normes, les sociétés de production japonaises ont bien compris que pour attirer une plus large audience masculine, il fallait lisser l’apparence et les corps de jeunes femmes. Les jeunes hommes rejoignent donc le public ciblé par les animes de Majokko. C’est après le succès de Cutie Honey que la société Toei décide que les petites filles qui se battent n’intéressent pas leur public et produisent plutôt des shojos avec pour thèmes principaux la romance et la famille. De nouveaux studios d’animation reprennent le genre, y voyant une opportunité avant tout financière. Les objets dérivés sont devenus monnaie courante au cinéma, et les producteurs de dessins animés en ont saisi l’intérêt.

C’est le cas de Ashi Productions avec l’anime Gigi (Magical princess Minky Momo, 1982), dont le principal investisseur était la société de jouets Popy, avant que celle-ci ne se retire du projet et que les producteurs ne décident de faire mourir la protagoniste à l’écran. Pour attirer différents publics, Gigi peut se transformer en jeune femme lors de la première séquence dite de « bank method » des animes de Magical Girl : des séquences réutilisées à l’identique à chaque épisode. Aujourd’hui il est difficile de trouver le nom d’un anime ou d’un cartoon à transformations qui ne se ressert pas de cette méthode. Avoir les mêmes images d’un bout à l’autre de l’anime signifie aussi pour l’équipe de production de passer plus de temps sur l’animation et la construction, pour créer une longue séquence (ici vingt-trois secondes) dont on ne se lasse pas.


Gigi (1982)

Avec le début du fan service et des fan cultures, les séquences de transformation deviennent donc extrêmement importantes pour mettre en valeur des bijoux, accessoires ou personnages qui deviendront des jouets vendus en grande quantité. C’est le début de ce qu’on appelle le mix media, le fait que les sociétés d’animation s’associent à des sociétés de jouets ou encore de bonbons pour décliner l’image de leurs séries.

On attribue enfin de nouveaux ajouts importants du genre au Studio Pierrot, qui produit des séries très populaires tout au long des années 1980.


Creamy merveilleuse Creamy (à gauche), l’équipe du Majokko Club (à droite)

En 1983, Creamy merveilleuse Creamy devient la première magical girl qui se transforme en idol, avec une véritable idol japonaise pour comédienne de doublage. Elle est suivie par de nombreuses autres au sein de son studio. Surtout, le Studio Pierrot est le premier à réunir plusieurs de ses magical girls dans un même long-métrage d’animation, Majokko Club Yoningumi: A Kuukan kara no Alien X en 1987. Le Studio Pierrot produit par la suite de nombreux crossovers entre ses personnages, mais ce film marque l’apparition de la première équipe de filles aux pouvoirs magiques.

Les Tokusatsu, une inspiration en prise de vues réelles


Power Rangers (1993), La Belle Fille Masquée Poitrine (1990)

En parallèle, les tokusatsu, un autre genre de programme pour enfants comportant des séquences de transformation à grand succès, perdent de leur superbe. Signifiant littéralement « effets spéciaux », ces séries coûtent cher et ne sont plus viables après le crash économique japonais de 1991, qui entraîne une diminution du nombre de naissances (et donc de jeunes spectateurs) au Japon. Dans les pays occidentaux, Power Rangers est l’exemple le plus parlant de série tokusatsu américaine, adaptée des versions japonaises. En revanche, l’influence principale dans l’apparition des magical girls des années 1990 est le tokusatsu La Belle Fille Masquée Poitrine (titre original), diffusé en 1990 au Japon. Avec son format du monstre de la semaine, ses masques et ses baguettes magiques, cette série est en effet celle qui inspire l’esthétique et de nombreux exemples de scénarios à Naoko Takeuchi, l’autrice des mangas Sailor Moon.

Sailor Moon, référence internationale et reconnaissance des séquences de transformation


Les guerrières Sailor (à gauche), Naoko Takeuchi (à droite)

En 1992, Toei Animations marque son grand retour dans le genre des animes de Magical Girl avec Sailor Moon, une série animée adaptée des mangas de Naoko Takeuchi.

Enorme succès au Japon, avec pour meilleur indicateur pour les investisseurs étrangers la mise en vente de plus de 6000 produits dérivés, l’anime construit des archétypes de personnages efficaces pour la première série de Magical Girls créée autour d’une équipe de cinq collégiennes. Les séquences de transformation, en particulier celle de l’héroïne qui bénéficie d’un traitement de faveur, deviennent la référence pour créer des moments dont on ne se lasse jamais et qu’on peut réemployer sur la durée, de même que des séquences dédiées aux pouvoirs et accessoires de chaque guerrière sailor. Avec le succès de l’anime puis d’autres dans le même genre comme Magic Knight Rayearth (1994), Mahou Shoujo Pretty Sammy (1995) ou Ai Tenshi Denetsu Wedding Peach (1995), les combattantes féminines s’imposent peu à peu dans le paysage des animes populaires, aussi bien auprès des jeunes filles que des jeunes hommes. Certains programmes explorent même des thèmes plus sombres et matures, à l’instar de Cardcaptor Sakura (1998). S’ensuivent de nouveaux animes du studio Toei comme Dorémi Magique (1999) qui réintroduit de très jeunes protagonistes, ou encore l’empire du genre qu’est devenu Pretty Cure (2004), toujours en cours sous la forme de nouvelles générations.


Magic Knight Rayearth (1994), Dorémi Magique (1999), Pretty Cure (2004)

Si le genre évolue, pour inclure toujours plus de thèmes matures ou de combats savamment chorégraphiés, les séquences de transformation ne connaissent plus de changement majeur dans les animes de Magical Girl. Celles-ci ont acquis une reconnaissance internationale et une forte appréciation des fans du genre, qui attendent désormais que certains critères soient respectés.

Mentions honorables : les exceptions américaines


Les transformations de She-Ra (à gauche) et de Jem (à droite) dans les années 1980

Bien que les séquences de transformation dans l’animation occidentale soient aujourd’hui inspirées de l’animation japonaise, deux cartoons américains des années 1980 se démarquent par leur inventivité dans le domaine.

En 1985, la série originale She-Ra introduit des séquences de transformation novatrices pour l’époque, bien avant la sortie de Sailor Moon ou son arrivée aux Etats-Unis en 1998. On y retrouve plusieurs critères très caractéristiques de transformations telle qu’on les connaît aujourd’hui : l’utilisation d’un accessoire et d’une phrase d’activation (« Pour l’honneur du crâne ancestral ! »), les scintillements, le tourbillon, la présence d’un fond fixe réutilisable dans d’autres épisodes, et enfin un thème musical qui reste en tête et donne une dimension épique à la transformation.

Puis, en 1988, Jem et les Hologrammes présente des transformations telles qu’on les connaît déjà au japon, avec des scintillements et parfois un tour sur soi-même, durant lesquelles Jerrica devient une pop-star, Jem, avant que les animes de Magical Girl qui se transforment en idols ne soient diffusés aux États-Unis.

La recette des séquences de transformation

Dorémi Magique (1999)

Tous ces succès grandissants font que dans les années 2000, les animes de magical girl sont connus dans l’ensemble des pays occidentaux, surtout des français, pour qui les premiers animes avaient été diffusés dès la fin des années 1970 sur les chaînes pour enfants, en raison des bas prix de l’export et des droits de l’animation japonaise à l’époque. C’est donc en 1993 en France, et 1998 aux États-Unis, que Sailor Moon montre la voie à suivre pour une génération de futurs passionnés du milieu de l’animation.

Sailor Moon, un exemple à suivre

En effet, les enfants de l’époque sont les professionnels d’aujourd’hui, et les cartoons récents assument totalement les influences japonaises, en particulier celle de Sailor Moon. En 2019, la société de production Cartoon Network publie ainsi sur sa chaîne Youtube officielle un condensé de références à l’anime figurant dans leurs cartoons. Dans cette vidéo de deux minutes et trente secondes, on retrouve des séquences de transformation issues d’Adventure Time, Steven Universe, OK KO et de Teen Titans Go!, qui sont des hommages à celles de Sailor Moon. Et bien que les inspirations principales de cartoons tels que Steven Universe aient pu être Revolutionary Girl Utena ou Magic Knight Rayearth, d’autres Magical Girls, on peut apercevoir quelques easter eggs en référence à Sailor Moon, comme un manga dans le tiroir de la table de chevet de Steven (S1E27, House Guest, 2014).



Steven Universe (à gauche, au milieu), Falion - antagoniste de Sailor Moon (à droite)

Dans le même genre, Star vs The Forces of Evil reprend la célèbre transformation quasiment à l’identique pour la fin du cartoon. Dans ce cas précis, on pouvait s’y attendre car Star devait à l’origine être fan de Sailor Moon, avant de se voir assigner la baguette et les pouvoirs de l’héroïne.

Transformation de Star en magical girl

Enfin, encore plus récemment, le cartoon de Dana Terrace pour Disney, The Owl House, comporte deux références semblables : une séquence de transformation de la protagoniste en hommage à l’anime, et une pose de combat reprenant la position caractéristique des mains de Sailor Moon entre Willow et Amity, lors d’un épisode sorti en 2022.


Transformation de Luz en nouvelle élève de Hexside (à gauche), pose triomphante de Willow et Amity (à droite)

Trente ans après la première diffusion de l’anime, la nouvelle génération de professionnels de l’animation a donc grandi et évolué avec un imaginaire commun, qu’elle reconnaît comme influence et qu’elle parodie en y ajoutant ses propres codes, comme dans la récente et très critiquée parodie américaine Magical Girl Friendship Squad Origins (2020), qui n’est plus destiné aux enfants mais associe le format des Magical Girl avec la formule sitcom de l’animation pour adultes.

Transformation des héroïnes de Magical Girl Friendship Squad Origins (2020)

La recette de référence

Bien que la transformation de Sailor Moon ait été inspirée de plusieurs décennies de Magical Girl et de Tokusatsu, c’est donc celle que l’on retient et reconnaît le plus largement dans les pays occidentaux. Très vite, on identifie les facteurs si satisfaisants de ce bonbon audiovisuel de quarante secondes, qui sont réemployés dans les cartoons des années 2000 jusqu’à aujourd’hui :

D’abord, la transformation requiert une phrase d’activation : « Pouvoir du prisme lunaire, transforme-moi ! ». Celle-ci est toujours la même et est même une condition indispensable pour déclencher le reste de la séquence.

Puis, par souci économique et pratique, la transformation doit pouvoir être ré-utilisée à l’identique dans un grand nombre d’épisodes. Cela se traduit par l’utilisation d’un fond neutre, toujours le même, ici agrémenté de couleurs, étoiles et cercles bleu, pourpre et rose qui évoquent l’espace et les origines cosmiques de l’héroïne.

Comme cette séquence doit rester un plaisir visuel d’un épisode à l’autre, pour ne pas lasser les spectateurs, on fait aussi preuve de virtuosité dans l’animation, que ce soit pour les mouvements ou les expressions du personnage. On trouve donc une chorégraphie et de la grâce, des effets de flottaison, et des effets de caméra qui se déplacent parfois autour de la protagoniste.

Pour ce qui concerne le changement d’apparence en lui-même, il fait figurer, comme pour Cutie Honey, la nudité du personnage. Ici, Sailor Moon est une collégienne, on suggère donc la nudité davantage qu’on ne la montre avec des effets lumineux.

Des gros plans montrent le détail de la transformation et s’attardent sur les différentes parties du corps : yeux, jambes, mains, corps, tête… afin de créer un effet de dévoilement et d’émerveillement.

Tous ces effets visuels sont accompagnés d’un thème musical, toujours le même, composé pour accompagner cette séquence précise. De plus, on peut entendre dans cette mélodie le nom de l’héroïne chanté par une voix féminine très douce, une façon de la mystifier un peu plus.

Bien sûr, les sound effects choisis entretiennent également cette impression, avec un son constant durant toute la transformation, qui évoque une impression de scintillement. Y sont ajoutés des effets aigus lorsque les accessoires ou la tenue apparaissent, pour ponctuer les différentes étapes de la métamorphose.

Le final de la transformation consiste enfin en une montée sonore du thème musical, un dernier sound effect, et surtout par la pose triomphante de l’héroïne. On constate que celle-ci n’a pas vocation à être naturelle ou confortable, mais bien à assurer un sentiment de supériorité : jambes écartées parfaitement droites, dos cambré, des cheveux volant au vent en parfaite symétrie, et le célèbre symbole de la main de Sailor Moon, qu’on retrouve décliné lors d’autres séquences de bank method.

A ce sujet, les séquences de transformation de Sailor Moon sont accompagnées d’autres séquences réutilisables d’invocations d’instruments de combat (une baguette magique, ou bien un disque doré) et d’une animation d’un discours adressé au monstre de l’épisode, s’achevant toujours de la même façon (« Je te punirai, tiens ! »).

Enfin, comme Sailor Moon est toujours accompagnée de ses coéquipières, chacune a droit à sa propre transformation, sa propre personnalité et à sa propre couleur. Sailor Mercury, douce et sensible, est habillée de bleu car elle contrôle l’eau. Sailor Mars, à la personnalité explosive, de rouge pour l’élément du feu. Sailor Jupiter, forte mais cœur d'artichaut, est parée de vert et contrôle la foudre, tandis que Sailor Venus, enthousiaste et sophistiquée, est vêtue de la couleur orange car elle maîtrise les astres.

Nous allons voir que si chacun de ces détails, pris séparément, n’est pas forcément gage d’une bonne transformation, l’ensemble de ces éléments constitue une recette très efficace pour les professionnels de l’animation occidentale.

Les héritières du genre

Ainsi, les codes de transformation des magical girl japonaises s’importent très vite en Occident.

En 2006, une collaboration américano-japonaise entre Cartoon Network, Toei Animation et Aniplex donne naissance à un anime adapté du cartoon des Super Nanas (1998), Super Nana Zeta. On y retrouve des transformations très énergiques et découpées, à la façon de celles que Toei introduit sept ans auparavant dans l’anime Dorémi Magique.


Transformations de Rebelle dans Super Nana Zeta (2006) et de Sophie dans la saison 3 de Dorémi Magique (2001)

En parallèle, les sociétés de productions européennes sont en avance sur les américaines, et proposent rapidement des dessins animés inspirés de l’esthétique japonaise et des équipes de magical girl qui affluent à la télévision.

La première et plus marquante de ces nouvelles équipes est sans doute celle du Winx Club, dessin animé italien créé par Iginio Straffi et diffusé pour la première fois en janvier 2004.

Très inspiré de Sailor Moon et du style de dessin manga, le créateur de la série parvient à reproduire des séquences de transformation fidèles, avec leur touche d’originalité. On y retrouve des fonds neutres et scintillants, un montage dynamique avec des gros plans sur les différentes parties du corps, voire un montage alterné entre les différentes héroïnes pour les transformations de groupe. Chacune de ces dernières a sa propre couleur, son propre pouvoir et sa propre personnalité, ainsi qu’une pose finale identifiable. S’il n’y a pas de phrase d’activation, les transformations de la première saison montrent tout de même l’utilisation d’un geste de la main commun entre toutes les filles au début de la transformation. Le sound effect est similaire à celui des animes japonais, avec des sons aigus et des scintillements à l’apparition des vêtements. Surtout, les thèmes musicaux du dessin animé sont encore plus marquants que ceux de leurs prédécesseurs, puisque chantés du début à la fin. Les noms de chacune des fées peuvent d’ailleurs être entendus dans celui de la saison 1.


Transformations de Tecna, Stella et Flora dans la saison 1

De la même façon que l’anime dont elle est librement inspirée, les droits de la série Winx ont été vendus à différentes compagnies de jouets ou de vêtements ; ainsi, à l’issue de la première saison, ce ne sont pas moins de 6000 produits dérivés de la série qui ont vu le jour. Comme les autres Magical Girls, les Winx développent au fil des saisons d’autres accessoires et d’autres transformations, dans le but de faire vendre de nouveaux objets dérivés. Avec la transformation Enchantix, les fées utilisent ainsi de la poussière de fée, au cours d’une autre séquence chorégraphiée qui rappelle celle du pouvoir de guérison de Sailor Moon.


Le sort de « Moon Healing Escalation » contre l’utilisation de la « Poussière de fée »

Au mois de décembre de la même année, un autre dessin animé réutilise les codes de Magical Girl pour les transformations de ses personnages, W.I.T.C.H..

Adaptée de la bande dessinée d’Elisabetta Gnone éditée par Disney, cette production française, américaine et australienne est plus modeste, et ses séquences de transformation moins élaborées. Celles-ci reprennent davantage des éléments graphiques de la BD, avec une identité sonore moins originale, et aucun gros plan sur les détails de la transformation. On y retrouve tout de même le code couleur de chaque élément associé aux héroïnes, la présence d’un fond neutre et scintillant, d’une apparente nudité, ainsi que des effets de flottaison et une pose finale. Contrairement aux Winx, les sorcières ont ici une phrase de transformation, « Cristallisation ! », et une phrase de conclusion où elles invoquent leur élément.

Transformation de Will, leader des W.I.T.C.H. (2004)

Le succès des Winx aurait pu engendrer d’autres héroïnes ailées, pourtant, en près de dix ans, le seul dessin animé qui en reprend les codes est Angel’s Friends, diffusé en 2009. L’héritage est ici davantage celui de son homologue italien que d’une influence japonaise, et les séquences de transformation y sont incluses pour permettre à sa protagoniste, un ange en pleine formation pour devenir ange-gardienne, de redevenir humaine. La série, annulée après la saison 2, apporte quelques légers changements aux transformations occidentales, comme la présence d’un petit animal de compagnie, une coccinelle nommée Cox, qui déclenche les transformations, ou bien celle d’un serment de protéger et de servir l’humanité pendant la transformation.

En 2013, le cartoon américain My Little Pony: Friendship is magic se décline sous un autre dessin animé spin-off, Equestria Girls, dans lequel on retrouve des séquences de transformation. Comme pour Angel’s Friends, la série présente des personnages issus d’un monde magique, mais cette fois-ci leur apparence humaine est justifiée, et elles gagnent accès à leurs pouvoirs par une transformation. Ces séquences sont très courtes et n’apportent pas de dimension particulièrement épique aux scènes de tension. Plutôt que d’y décliner leurs pouvoirs, les protagonistes y énumèrent leurs qualités (d’ailleurs associées à des stéréotypes féminins) et comptent sur le pouvoir de leur amitié. Le plaisir visuel n’est pas satisfait non plus, car plutôt que d’exploiter la dimension magique du changement d’apparence, le dessin animé se repose sur le déplacement d’une simple silhouette sur un fond uni, avant de révéler un changement d’apparence, sans réelle gradation. Pour les dessins animés dérivés de franchises, réaliser de courtes séquences de transformation est avant tout une façon de vendre davantage de produits dérivés, comme ici ou dans le dessin animé pour très jeunes filles, DC Super Hero Girls (2016).

Transformation de Pinkie Pie dans Equestria Girls (2013)

Lolirock, dessin animé français de David Michel et Jean-Louis Vandestoc, apporte en 2014 un vent de fraîcheur sur les séquences de transformations telles qu’elles étaient exploitées en Occident, en empruntant à nouveau aux Magical Girl japonaises. Très inspirés par Sailor Moon, les créateurs ont aussi emprunté à un anime de Magical Girl plus récent et toujours en cours de diffusion, Pretty Cure, un véritable empire avec ses nombreuses générations et saisons. L’anime modernise l’animation et les effets techniques dans les scènes de transformations ou d’action, dont s’inspirent à nouveau les professionnels occidentaux. Les séquences sont donc plus fluides dans ce nouveau dessin animé, et la caméra se déplace plus librement. La transformation complète comprend même l’ajout de maquillage et d’une nouvelle couleur de cheveux, car les personnages mènent une double vie en tant que stars de la musique, à l’instar des idols de l’animation japonaise.

Transformation d'Iris dans Lolirock (2014)

La société de production à l’origine de LoliRock, Marathon Média, tente ainsi de recréer l’engouement produit par Totally Spies en 2001, qui, bien qu’il ne soit pas un magical girl, reprenait lui aussi beaucoup de codes japonais et féminins. Alors très inspiré par le feuilleton Drôles de dames (1976) mais aussi par des animes tels que Cat’s Eye (1983), le dessin animé mettait en scène des espionnes avec des gadgets roses ou mauves, dont le fameux com-poudrier, qui permettait de déclencher des changements de tenues très sobres, telles qu’on pouvait en voir chez les premières Majokko. On peut même trouver une référence à Sailor Moon sur un croquis préparatoire de Clover dans le film sorti en salles en 2009, alors qu’elle cherche un design pour une tenue d’espionne.


Le com-poudrier des Totally Spies (à gauche), qui rappelle le miroir de Himitsu no Akko-chan (au milieu) - Croquis de Clover en sailor (à droite)

Le passage à la 3D, un apport surtout occidental

Aujourd’hui, les magical girls (et magical boys) occidentales et occidentaux sont surtout présents en 3D. En effet, si les sociétés de production japonaises fonctionnent essentiellement grâce à la qualité de leur animation en 2D, les studios français ont de nouveaux talents qui ont appris à maîtriser et à créer des modèles en 3D efficaces. Dans ce cas précis, on peut dire que les dessins animés inspirés de Sailor Moon réussissent davantage que son reboot, Sailor Moon Crystal (2014), dans lequel les transformations en 3D paraissent plus laborieuses que dans la série originale.

Les débuts sont toutefois aussi laborieux en Europe, en particulier pour les premières magical girls à bénéficier d’un passage de la 2D à la 3D, les Winx, dans le film Le Secret du Royaume Perdu en 2007. Cette décision s’explique assez simplement par le fait que le dessin animé a toujours allié les deux procédés, en utilisant notamment la 3D pour les décors. Néanmoins, la prise de risque ne fonctionne pas pour le film, car malgré un budget généreux, les modèles 3D sont loin d’être parfaits. Entre la minceur extrême des personnages, qui peut être justifiées par un style de dessin en 2D mais qui paraît dérangeante en relief, l’élasticité des membres tordus dans tous les sens et l’absence d’expressions sur le visage des fées, il faut quelques années d’expérimentation pour que le résultat soit meilleur, au fil des saisons mêlant les deux styles.


Transformation de Tecna dans Le Royaume Perdu (2007), puis dans la saison 5 (2013)

Où l’évolution technique fait des miracles

Mais le cartoon qui réussit véritablement le passage des magical girl à la 3D est sûrement aussi le plus connu, Miraculous Ladybug. La série d’animation franco-coréenne créée par Thomas Astruc et diffusée depuis 2015 sur TF1, met en scène Ladybug et son associé Chat Noir, défendant la ville de Paris des attaques du Papillon. Bien que sortie relativement récemment, ses inspirations japonaises sont extrêmement nombreuses, et les transformations sont donc très classiques, reprenant presque tous les éléments identifiés plus tôt. L’héroïne, Marinette Dupain-Cheng, doit prononcer une phrase d’activation (« Tikki, transforme-moi ! ») pour que la petite créature qui l’accompagne (et qui représente comme dans Angel’s Friends une coccinelle) déclenche la transformation en fusionnant avec elle. Le pouvoir qui se trouve dans les boucles d’oreille de Marinette lui permet alors d’enfiler un costume moulant rouge à pois noirs et de devenir méconnaissable à l’aide d’un masque. Plutôt que de montrer chaque partie du corps par un cut, cette fois la caméra se déplace rapidement et librement tout autour de la protagoniste, qui effectue une chorégraphie complexe avant de prendre une pose offensive. Le fond, neutre et scintillant, est traversé par des rais de lumière qui donnent une impression de vitesse et dynamisent les mouvements. Le thème musical reste facilement en tête car il reprend le générique en l’accélérant et en y ajoutant des effets aux bons moments. Ladybug a également des animations dédiées à ses attaques, comme le Lucky Charm, et la libération des Akuma, des incarnations malfaisantes du Papillon qui renforcent les émotions négatives d’un individu pour le rendre maléfique.


« Tikki, transforme-moi ! » (à gauche), « Lucky Charm ! » (au milieu), « Moon Tiara Action » (à droite)

Non seulement ces séquences ressemblent à celles de Sailor Moon, le scénario y est aussi très ressemblant, avec deux héroïnes chargées de protéger la capitale de leur pays respectif en s’associant à un compagnon masculin masqué qui combat au bâton. Le Papillon possède de plus les mêmes pouvoirs que Nephrite, un ennemi de Sailor Moon dans sa première saison, qu’il invoque lui aussi seul dans un manoir dont la source de lumière est un grand vitrail : le pouvoir de corrompre un individu en injectant de la magie noire dans un objet auquel il tient. Plus tard dans le dessin animé, le Papillon apprend aussi à créer des monstres à partir d’un sentiment fort, ce que peut aussi faire Zoisite, un autre ennemi de l’anime. On y retrouve finalement un carré amoureux, que l’anime résout en revanche plus rapidement, entre deux étudiants qui ignorent l’identité secrète de l’autre.


Le Papillon de Miraculous en plein méfait (à gauche), Nephrite de Sailor Moon en quête de sa prochaine victime (à droite)

Miraculous se réapproprie donc des codes très classiques, tout en y ajoutant des innovations techniques, un cadre culturel européen, et en adaptant le scénario à un public jeune et au format télévisé. On n’y retrouve moins de progression dans l’histoire par exemple, et moins de développement de personnages, car les épisodes doivent pouvoir être regardés ou diffusés dans le désordre sans pour autant perdre les spectateurs. Les transformations, bien que très ressemblantes, introduisent de nouveaux déplacements de caméra, des zooms et des mouvements plus rapides car plus lisibles en 3D, et réintroduisent des séquences de bank method absentes dans les dessins animés occidentaux pour l’utilisation des pouvoirs.

Il n’est pas étonnant de constater que des dessins animés récents tels que Tara Duncan ou Ghost Force, diffusés en 2021, persévèrent dans l’utilisation de la 3D pour les transformations de leurs héros, dorénavant aussi bien masculins que féminins, bien que cela reste pour l’instant un phénomène européen.


Transformation de Tara Duncan dans le dessin animé français éponyme, transformation des héros de Ghost Force, une série franco-coréenne

Un cas particulier : She-Ra et les princesses au pouvoir

Si la plupart des professionnels de l’animation européens se sont naturellement pliés aux codes des transformations japonaises avec lesquels ils avaient grandi, cela aurait pu être très différent pour l’équipe de production de She-Ra et les princesses au pouvoir, un reboot de la série originale de 1985 qui, comme nous l’avions vu, avait inventé ses propres codes avant la sortie des nouvelles magical girl de Toei Animation.


Reflets sur les tiares de She-Ra et de Sailor Moon

Disponible dès 2018 sur Netflix, le reboot de ND Stevenson prend pourtant le contrepied du cartoon original sur tous les aspects. Si ce qui avait fait couler beaucoup d’encre au moment de sa sortie concernait la nouvelle diversité des personnages et le changement d’apparence de la protagoniste, il est intéressant de souligner le changement de réalisation des séquences de transformation. Les éléments sonores sont restés les mêmes, avec une phrase d’activation et un thème musical simplement retravaillé, mais celles-ci se déroulent maintenant devant un fond violet à paillettes évoquant l’espace, et sont découpées en gros plans courts, plutôt qu’un long plan fixe de demi-ensemble. Certains plans reprennent même à l’identique des plans issus de Sailor Moon, comme l’apparition des accessoires et le mouvement de tête en arrière à l’apparition de la tiare. Enfin, la pose finale reprend le même agencement du corps, mais cette fois dans une composition du cadre proche de celle de Sailor Moon.


Poses finales de She-Ra (1985, à gauche), She-Ra et les Princesses au pouvoir (2018, au milieu), et de Sailor Moon (1992, à droite)

Face aux nombreux exemples de séries d’animation européennes reprenant le genre des magical girls, She-Ra et les princesses au pouvoir aurait pu revendiquer des racines américaines et recréer un engouement pour le genre aux Etats-Unis, d’une façon différente de celui que nous avons développé en Europe. Il semblerait cependant que l’influence japonaise, véritablement parvenue aux Etats-Unis à partir de 1998, soit également la majeure influence connue pour les magical girls américaines, qui rejoignent peu à peu la longue tradition des transformations codifiées en 2D.


Transformations de Poison Ivy de DC Super Hero Girls (2016) et des héroïnes de High Guardian Spice de Raye Rodriguez (2021)

Et les magical boys ?

L’équipe de magical boys de Cute High Earth Defense Club Love! (2015)

Considérés comme des animes shojo, le genre des Magical girls a longtemps été réservé aux personnages féminins au Japon, bien que cela ait changé depuis le succès immédiat de Cute High Earth Defense Club Love! (2015). On pourrait argumenter que le premier magical boy était Tuxedo Mask dans Sailor Moon, mais le rapport à la transformation n’est pas du tout le même ici. L’anime de magical boys reprend tous les codes féminins pour les appliquer à l’identique à un groupe de jeunes garçons. Lors du premier visionnage, les transformations, toujours aussi dénudées, gracieuses et associées à des émotions positives de douceur, de passion ou d’amour paraissent alors presque absurdes tant elles modifient notre perception de la masculinité des personnages. Une multiplication de ce genre d’animes pourrait faire changer notre regard à la fois sur les personnages de héros féminins et masculins, en atténuant peut-être l’influence du male gaze sur la nécessité de très jeunes filles à paraître désirables, et en accentuant la sensibilité et les émotions des héros masculins coincés dans un stéréotype d’hyper-virilité.


Transformation de Tuxedo Mask dans Sailor Moon (1992) face à celle de Ryuu de Cute High Earth Defense Club Love! (2015)

En Occident, c’est aux Etats-Unis qu’apparaît le premier garçon qui a droit à ses séquences de transformation inspirées de programmes japonais, mais en puisant cette fois davantage dans un genre traditionnellement masculin, les tokusatsu. Ben 10, diffusé dès 2005 dans sa version originale, acquiert une montre qui lui permet de changer d’apparence pour devenir un monstre surpuissant. L’une des espèces en laquelle il peut se métamorphoser porte même un nom évoquant les tokusatsu, To-kustar, et ressemble volontairement au héros Ultraman.


Transformation de Ben (à gauche), To-Kustar (au milieu) et le héros du tokusatsu Ultraman (1966, à droite)

Depuis, les seuls magical boys occidentaux n’ont pas connu de transformations tels qu’on les connaît dans les animes japonais (Bow dans She-Ra et les princesses au pouvoir, Gus dans The Owl House, Steven Universe), mais ils remettent toujours en question les critères de masculinité tels qu’on les connaît. Et à voir les efforts que doivent fournir des créateurs comme Alex Hirsch (Gravity Falls) ou Dana Terrace (The Owl House) pour introduire un semblant de représentation homosexuelle à l’écran, on peut imaginer que des transformations masculines envahies de paillettes et de couleurs vives ne correspondent pas exactement aux attentes de grands studios de dessins animés.

Conclusion : Les magical girls, un genre sexiste ?

Marinette de Miraculous Ladybug : « Noooon… Enfin, je veux dire, oui ? Naaaan ! »

Après cet historique presque exclusivement féminin, il est assez clair que les dessins animés occidentaux se sont inspirés d’un genre japonais destiné aux jeunes filles et renforçant un imaginaire stéréotypé selon lequel celles-ci aiment le rose, les paillettes, les animaux, la mode et ne jurent que par l’amitié ou l’amour. De plus, ces clichés sont renforcés par une réalisation biaisée par le male gaze, qui génère des scènes de nus ou de sexualisation d’héroïnes souvent mineures, le tout avec des standards de beauté intransigeants comme le révèle l'omniprésence de corps minces voire maigres dans le genre. De fait, la plupart de ces dessins animés ont été pensés pour renforcer un imaginaire préexistant et amener les petites filles à acheter des produits dérivés tous identiques : si toutes les héroïnes sont blanches et ont la même silhouette longiligne, alors toutes les poupées peuvent être construites sur un même modèle, et l’animation peut être recyclée d’un épisode à l’autre. Toutefois l’animation occidentale, en parallèle du modèle japonais, ajoute petit à petit des éléments moins caricaturaux et plus diversifiés au genre des Magical Girls. Dès la diffusion de Winx Club, l’équipe de six fées comportait trois personnages racisés, aussi développés que les autres. W.I.T.C.H. y apportait aussi une attention particulière en 2004, et les séries suivantes ont continué d’apporter, même sans être exceptionnelle, une meilleure représentation que beaucoup d’animes. Ce sont les cartoons américains qui proposent énormément de réflexions sur ces questions, mais peu d’entre eux sont des exemples typiques du genre des magical girls, à l’exception de She-Ra et les princesses au pouvoir, qui a réussi en 2018 à intégrer des personnages racisés, musclés, gros, et LGBTQ+ dans un reboot d’un programme original justement très caricatural dans sa représentation genrée (bien que là encore, la société de production ait mis un frein à ND Stevenson, qui souhaitait que She-Ra elle-même soit une femme noire).

Aujourd’hui, à la lumière de discussions émergentes après l’adaptation ratée Winx The Fate Saga en 2021, de nombreuses femmes ayant grandi dans les années 2000 ont pris la parole pour exprimer leur affection particulière pour ce genre de dessins animés, en expliquant que l’hyper-féminité des héroïnes, à l’inverse de leurs corps ultra-minces, était un élément qui leur avait beaucoup apporté, car la représentation féminine se limite encore dans la plupart les films en prise de vue réelle à des modèles de femmes fortes, froides et responsables. Les magical girl apporteraient au contraire un sentiment de puissance par leurs doutes et leur sensibilité plus réalistes. L’impression que l’on peut être puissante car féminine, plutôt que puissante en dépit de sa féminité. C’est un sentiment qu’on ne retrouve pas dans beaucoup d'œuvres mainstream, et les dessins animés à destination des jeunes filles continuent de constituer une sorte d’oasis à paillettes au milieu d’une étendue de contenu à visée masculine ou éminemment dramatique.

La direction attendue maintenant serait peut-être de concevoir des cartoons inspirés de cette histoire riche, en y incorporant un female gaze assumé, en montrant des héroïnes qui, comme dans des séries telles que Miss Marvel (2022), assument leur féminité tout en la trouvant difficile à construire (puberté, traditions), célèbrent leurs familles et leurs amis sans en être le pilier principal. Ou encore en reprenant simplement les codes ultra-féminins de dessins animés tels que les Winx avec une variété de personnages et de caractères diamétralement différents les uns des autres, pour que tout le monde s’y retrouve, des maladresses comme effets comiques, et une attention particulière portée à la mode et aux couleurs. En évitant peut-être cette fois d’effacer les personnalités et la couleur de peau des personnages au cours des saisons, et en assumant de faire un cartoon un peu « niais » à destination d’une audience féminine, plutôt qu’à un public de jeunes garçons à qui on apprendrait à objectifier des corps déjà sur-représentés dans les médias traditionnels. Après tout, le public européen est familier du format depuis les années 1980, il est grand temps d'y proposer des changements.

« A bas la discrimination sexuelle ! » - Sailor Moon (1992)

 

Source :
  • « Sailor Moon’s impact on modern American animation remains undeniable », Priyanka Bose, (18 septembre 2020), [consulté le 26 juin 2022], A.V. Club, https://www.avclub.com/sailor-moon-s-impact-on-modern-american-animation-remai-1844994160
  • Pages Wikipédia de chacun des animes et cartoons cités, consultées pour la dernière fois le 25 juin 2022
  • Why There Are Magical Girl Transformations In Anime - Why, Anime, Get In The Robot, (16 novembre 2018), Youtube, https://youtu.be/SokEpjeubvg
  • History of Magical Girls (Sailor Moon, Puella Magi Madoka Magica, Cardcaptor Sakura + MORE), Crunchyroll, (15 juillet 2020), Youtube, https://youtu.be/VtFR8o9n4LA
  • Joueur du Grenier - Spécial dessins animés pour filles, Frédéric Molas, [Jouer du grenier], (29 mars 2012), Youtube, https://youtu.be/Uk110_eoTKg
  • Sailor Moon references on Cartoon Network, Cartoon Network, (30 juin 2018), Youtube, https://youtu.be/92fr5byVPl0
  • Unnecessarily thorough deep dive into Winx Club (S1-4), Lisa Fevral, (11 mars 2022), Youtube, https://youtu.be/kF33a3Y8dUI
  • Animes et cartoons cités au sein de l’article et leurs séquences de transformation
Fin de l'article
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Par Lucartcy