Logo de l'anniversaire des 25 ans de la série Les Supers Nanas

Parmi les cartoons considérés comme culte, Les Supers Nanas figure en très bonne place. Série phare de Cartoon Network dans les années 2000 avec un succès planétaire et de nombreux produits dérivés, la licence est toujours exploitée aujourd’hui à travers de nouvelles séries. Son importance se fait également sentir à travers de nombreux hommages et thématiques abordées dans des cartoons plus récents, parfois créés par d’anciens membres du staff. Les supers nanas est donc une série culte pour toute une génération, mais aussi une pierre angulaire des cartoons actuels.



Une série qui a marqué la culture populaire

Le 19 juin 2023, le girlgroup sud-coréen NewJeans a annoncé la sortie de son nouvel album intitulé “Get Up”. Pour son retour, le groupe formé en 2022 a notamment annoncé pour son titre New Jeans une collaboration avec les Supers Nanas, coïncidant avec les 25 ans de la série. Sorti le 6 juillet, le clip totalise plus de 22 millions de vues sur youtube le 16 novembre.

Chacune des membres a hérité de son propre personnage dans le style de la série, mélangeant parfois différents styles d’animation. Alors que la Corée du Sud fait rêver des dizaines de millions de jeunes, que ce soit à travers sa musique, ses films ou ses séries à succès, bénéficiant d’une influence grandissante à travers le monde, une de ses figures de proue s’associe avec un cartoon américain qui a connu sa première diffusion il y a un quart de siècle, montrant son impact sur toute une génération.    

Produite entre 1998 et 2005 par Cartoon Network en 6 saisons, en collaboration avec Hanna-Barbera pour les 4 premières, elle raconte l’histoire du professeur Utonium, qui en tentant de créer des petites filles parfaites composées de sucre, d’épices et d’un tas de bonne choses, ajoute accidentellement l’agent chimique X, qui crée les 3 Supers Nanas : Belle, Bulle et Rebelle, dotées de super pouvoirs. Grâce à cela, elles peuvent lutter contre les forces du mal qui ravagent Townsville.

Se démarquant des séries diffusées au même moment par un ton plus mature, avec ses combats dynamiques qui n’ont pas peur de faire mal, Les Supers Nanas se sont rapidement imposées comme la série phare de Cartoon Network avec un succès planétaire. La France n’y a pas coupé, bien aidée par ses nombreuses diffusions dans les programmes jeunesse de France 3, à une époque où la télévision restait incontournable pour tout enfant voulant regarder des dessins animés. Engendrant de nombreux produits dérivés, des peluches aux jeux vidéos en passant par les parures de lit et les comics, la série est devenue une manne financière conséquente pour le studio qui commençait à cette époque à produire ses propres séries.

   

Aujourd’hui, elle évoque une excellente madeleine de Proust pour de nombreuses personnes nées dans les années 2000. Les différentes rediffusions sur Gulli, Netflix ou encore l’annonce d’une nouvelle série en live action (même si annulée) montrent qu’elle est toujours d’actualité. Pourtant, au-delà de la nostalgie, elle a rendu à de nombreuses reprises des hommages à d’autres cartoons, porté des messages forts et permis à des artistes de faire leurs premières armes avant de créer leurs propres séries.

Parce que Cartoon Fantasy a pour objectif d’animer votre passion, parce que les œuvres cultes ne doivent pas tomber dans l’oubli pour tout ce qu’elles ont apportées, ce dossier a pour but de passer en revue ce qui a fait son succès et son héritage.

Une série aux références nombreuses

Tout commence en 1992. Craig McCracken, alors étudiant en 2ème année au California Institute of Arts, décide pour la carte d’anniversaire de son frère de lui dessiner trois petites filles. Alors qu’il cherche l’inspiration pour le film qu’il doit produire lors de son année d’étude, l'idée de reprendre les trois fillettes et de leur faire combattre des monstres et autres vilains lui vient alors à l’esprit. Intitulé The whoopass girls in a sticky situation (littéralement « les filles de l’ombre dans une situation délicate »), les Supers Nanas signent là leur première apparition. Les designs définitifs sont déjà là, les noms également, à l’exception de Buttercup (Rebelle en VF), que Craig McCracken choisira par continuité avec les trois autres. Bien que ce ne soit encore qu’un projet étudiant, plusieurs références sont déjà présentes : les designs tout en rondeur des héroïnes sont inspirés des cartoons des années 50-60, et leurs coupes de cheveux serviront à définir leurs caractères.

Nom original de la série lors des années d’études de Craig McCracken à la Cal arts Academy (Who What When Where How Why... Who Cares?)

La série continue à prendre forme lorsque Craig McCracken et d’autres camarades de sa promotion sont embauchés par le studio Hanna-Barbera, connu jusque-là pour Scooby-Doo ou les Pierrafeu. Toujours inspiré par des séries plus anciennes, Mojo Jojo, le principal antagoniste de la série et le plus emblématique, est inspiré d’une série japonaise des années 70, Spectrum, et d’un personnage appelé Mr Gorric.

        

Le professeur Utonium, quant à lui, est repris de Bob Dobbs, une figure religieuse parodique des années 50.

                      

Une série ouvertement féministe

La série porte également sur d’autres références qui servent à porter des messages politiques. En effet, la série a eu par deux fois des épisodes centrés sur le féminisme. D’égales à égales (épisode 10 de la saison 3) et Club privé (épisode 6 de la saison 4), abordent cette thématique de manière explicite. Que ce soit sur la manière de porter ces revendications dans le premier, ou l’acceptation des femmes dans le second, ils sont le reflet des débats qui animent alors les mouvements féministes. 

Novembre 1995 - Manifestation à Paris pour les droits des femmes. 

Cette grande manifestation organisée par plusieurs associations féministes réaffirme toutes les revendications des femmes, le droit à l’avortement, à l’emploi. Les femmes immigrées ou exilées y sont aussi nombreuses. Ici des femmes sahraouies et algériennes.

Photographie de Francine Bajande, tiré de l'exposition "Traces, mémoires, histoire des mouvements de femmes de l'immigration en France". [source]

Lorsque que la série débute, ce qu’on appelle la troisième vague féministe a débuté aux Etats-Unis. La première vague voulait l’égalité du droit des femmes sur celui des hommes, la seconde l’affirmation de leur identité forgée par les sociétés, la troisième s’attarde sur les stéréotypes véhiculées par les jouets et l’intersectionnalité, terme de la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw, qui rend compte de la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société telles que les discriminations de race, de classe et de genre, et les violences sexistes et sexuelles.

La manière dont sont construites les héroïnes semble y faire écho. Chacune possède une qualité qui lui est propre (intelligence pour Belle, force pour Rebelle, gentillesse pour Bulle) et qui, combinées, font qu’elles peuvent combattre ensemble pour un monde meilleur. Cette idée est confirmée par leurs designs : le ruban de Belle évoque une couronne et son rôle de cheffe, les couettes de Bulle rappellent sa gentillesse et les pics de Rebelle lui confèrent un côté plus pugnace. Cette idée d’union faisant la force sera d’ailleurs reprise par Lauren Faust dans My Little Pony: Friendship Is Magic avec les éléments de l’harmonie.

L’idée sera encore un peu développée par Amy Keating Rogers, l’autrice principale des livres et comics basés sur la franchise. De nombreuses histoires se concentrent sur des sujets qui concernent tous les enfants, comme faire pipi au lit ou avoir une méchante belle mère, montrant que les supers pouvoirs ne leur permettent pas de résoudre tous leurs problèmes.  

Une œuvre qui laisse un bel héritage

Le film et les séries dérivées de la série originale

Pour capitaliser sur son succès, la série a bien évidemment eu le droit à des œuvres dérivées. Tout d’abord abordons le cas de Les Supers Nanas, le film. Sorti en 2002, c’était la première fois qu’un film d’une série Cartoon Network avait droit à une sortie cinéma, au lieu d’une simple diffusion télé. Les attentes étaient donc importantes et l’enjeu crucial pour la diffusion de leurs prochains films, comme Le laboratoire de Dexter ou Samuraï Jack.

Malheureusement, le succès n’a pas été au rendez-vous. Il a certes été rentable, gagnant 16 millions de dollars pour un budget de 11 millions, mais il a seulement réussi à atteindre l’équilibre lors de son exploitation aux États-Unis, alors que Cartoon Network attendait 15 millions de dollars rien que pour le premier week-end. Les raisons pour expliquer cet échec sont nombreux, que ce soit une date de sortie coïncidant avec Men In Black 2, des conflits internes à Cartoon Network sur le public à viser, entre les petites filles et les jeunes adolescents, ou encore la honte pour ces jeunes adolescents d’aller voir ce film au cinéma. Malgré des ventes DVD correctes, Cartoon Network ne retentera jamais l’expérience d’une sortie cinéma, même pour ses licences phares, au contraire de Nickelodeon avec ses films Bob l’éponge.

Malgré tout, la série a continué à être produite jusqu’en 2005, et marqua suffisamment les esprits pour que des séries dérivées voient le jour. La première sortie en 2006, intitulée Les Supers Nanas Zeta, est un reboot de la série. Craig McCracken est toujours à sa tête, même si la production est japonaise. Elle reprend de nombreux codes des animes, en particulier ceux de Sailor Moon, que ce soit à travers les transformations ou les héroïnes qui cette fois sont des lycéennes.

Les personnages sont également différents (Les Supers Nanas sont justes amies et non pas soeurs, un chien robot remplace le téléphone rouge, etc.), trop peut être. La série ne dure qu’une saison avant d’être arrêtée, et met plus de 3 ans avant d’être diffusée en France.

Le style graphique montre à lui tout seul les changements par rapport à la série originale (© Cartoon Network)

En 2014, Cartoon Network annonce le retour de la série dans un nouveau reboot. Diffusée à partir de 2016, cette série connaît avant sa première diffusion des controverses. L'annonce de ne pas reprendre le casting original qui n'a pas été consulté mécontente grandement les fans (à noter que ce n'est pas le cas pour la VF), de même qu’un narrateur moins présent.

Les premières images dévoilées en 2015 vont laisser de nombreux fans sceptiques (© Cartoon Network)

Malgré tout, Cartoon Network lance un créateur de personnage dans le style de cette nouvelle série, Powerpuff Yourself, qui a connu un grand succès, participant à sa promotion avec un hashtag #CNPPG. La nostalgie semble battre son plein, énormément de fans devenu·es adultes ou adolescent·es pouvant se projeter dans cette série qui leur rappelle leur enfance.

Mais lorsque les premiers épisodes sont diffusés en 2016, les critiques sont toujours extrêmement nombreuses : on reproche l'absence de sang et des combats moins présents, des méchant·es de la première série plus en retrait au détriment des nouveaux·elles, ou encore l’utilisation de memes datant de 2011.

La série crée surtout la polémique avec le personnage de Dan. Poney s’identifiant comme licorne, il rêve plus que tout d’en devenir une. Applaudi dans un premier temps pour sa très bonne représentation des personnes transgenres, il attire ensuite sur lui les critiques, le personnage se changeant en monstre après une tentative de transformation par le professeur Utonium.

Malgré ces critiques, la série est tout de même renouvelée pour 3 saisons et une quatrième Super Nana fait même son apparition et devient une membre à part entière de l’équipe. Elle connaît donc un joli succès qui démontre que la série attire toujours, y compris sous de nouvelles formes — ce qui conforte sans doute Cartoon Network dans l’idée d’exploiter sa franchise au maximum.

Exploitation qui mène également à de nombreux jeux dérivés de la série, disponibles sur le site internet de Cartoon Network


 
Les membres du staff qui ont par la suite créé leurs propres séries

Vous l’aurez compris à travers ce dossier, les Supers Nanas est une série culte en soi. Mais les membres de son staff vont également créer leurs propres séries qui ont fortement marquées le monde des cartoons, voire devenir cultes à leur tour.

Craig McCracken est ensuite à l’origine de Foster, la maison des amis imaginaires, dans un monde où les amis imaginaires des enfants vivent dans le même monde que les humains, qui va également connaître un grand succès et de nombreuses rediffusions en France.

Pour Genndy Tartakovsky, autre grand nom de l’animation qui avait déjà créé auparavant Le laboratoire de Dexter, il lance dans les années 2000 Samouraï Jack et Star Wars : Clone Wars, toujours produites par Cartoon Network, faisant de cette période l’âge d’or de la chaîne.

D’autres univers sont également créés lors de la décennie suivante dans d’autres studios d’animation. On peut notamment penser à Lauren Faust avec My Little Pony: Friendship Is Magic, évoqué en détails un peu plus loin dans ce dossier, ou encore Chris Savino, qui crée Bienvenue chez les Loud (The Loud House en VO) en 2016 chez Nickelodeon, devenu un des programmes phares du groupe. Cependant, il est renvoyé en 2018 dans le sillage du mouvement MeToo, où plusieurs témoignages d’agressions sexuelles font surface à son encontre, dont certains datant de l’époque où il travaillait sur Les Supers Nanas.

Des séries s’en inspirent également, particulièrement dans les années 2010 où des cartoons plus ambitieux, avec un vrai fil conducteur, sont diffusés. C’est notamment le cas pour Adventure Time et Steven Universe, toujours produites chez Cartoon Network, (même si les pilotes d'Adventure Time viennent de Nickelodeon) à travers les sujets abordés sur l’acceptation de soi ou la question des armes nucléaires.

 

Le cas My Little Pony: Friendship Is Magic

Parmi toutes les séries qui ont été évoquées, My Little Pony: Friendship Is Magic (Mon Petit Poney : l'amitié c'est magique en VF, MLP:FIM en abrégé) fait partie de celles où cette influence est la plus visible. Lorsque Lauren Faust prend en main la création d'une nouvelle série dérivée de la franchise de Hasbro, elle s'inspire pleinement de son expérience auprès des Supers Nanas. À la base conçue pour un public essentiellement jeune et féminin, la série réussit à toucher un public d'adultes, grâce à une double lecture très présente et de nombreuses références. Les thématiques sur l’amitié ou le féminisme sont exploitées avec justesse et permettent d’avoir un regard différent selon l’âge de la personne.

MLP:FIM aborde également plusieurs sujets inhabituels dans une série pour enfants, comme le deuil, l'acceptation du changement ou le harcèlement. Des épisodes provoquent des débats (mettre en place une production industrielle au détriment d'une méthode traditionnelle, est-ce entrer dans la modernité ou détruire un savoir-faire ? Avoir fait des mauvaises choses par le passé fait-il de vous une mauvaise personne ?) et des nombreuses références à la pop culture jalonnent la série dès la première saison.

Derpy de MLP: FIM possède une marque de beauté (qui symbolise le talent de chaque poney, ce qui les rend unique) qui fait référence aux personnages de Bulle dans les Supers Nanas. Derpy deviendra la mascotte de la communauté Brony, les fans adultes de MLP:FIM (© Hasbro)

Néanmoins, une des grandes différences entre les deux séries est le traitement de cette communauté plus âgée. Pour les Supers Nanas, cette communauté était déjà présente avec des jeunes adolescent·es mais qui avaient du mal à assumer pleinement cette passion et ignoré·es à l’époque par Cartoon Network. Au contraire pour MLP:FIM, Hasbro, après quelque temps d’hésitation, décide de pleinement prendre en compte l'existence des bronies (nom de la communauté des fans adultes de MLP:FIM, contraction de brother et pony) et multiplie les références, que ce soit avec les personnages d’arrière-plan, les Background Ponies, devenus les emblèmes de la communauté, ou en parodiant une chanson de Katy Perry pour annoncer la sortie de Equestria Girls, un spin-off où les personnages de la série ont des formes humaines.

L’épisode 100 de la série, Slice of Life, a été l’hommage ultime d’Hasbro aux bronies, où les background ponies deviennent des personnages majeurs. (© Hasbro)

Bien que cette considération ait également des buts mercantiles (n’oublions pas que les séries My Little Pony existent avant tout pour vendre les jouets du même nom), elle montre également une vraie évolution de la vision que les studios ont de leur public. Ils peuvent être infiniment plus variés que ce qui était prévu à la base, ce qui permet d’inclure des histoires avec un vrai fil conducteur et différentes lectures en fonction de l’âge. Les enfants comme les parents peuvent donc passer ensemble un excellent moment devant une série qui convient à tous les publics. 

Produite à partir de 2010 et achevée en 2019 après 9 saisons totalisant plus de 200 épisodes, 4 films spin-off et un long-métrage sorti au cinéma, MLP:FIM fait donc figure de précurseur dans ce domaine, au même titre que Adventure Time débuté à la même époque, montrant l’existence d’un public nombreux et assidu pour ce type de série. Des séries comme, une nouvelle fois, Steven Universe ou The Owl House s'engouffrent dans la brèche en affinant la formule, affirmant en plus de ces thématiques des personnages LGBTQ+.

Conclusion

Nous l’avons vu tout au long de ce dossier, Les Supers Nanas est une série qui a marqué son époque. Elle continue à vivre à travers un héritage très présent de façon directe ou non et de nombreuses références. Au-delà de la nostalgie qu’elle inspire, elle montre bien que des séries d'apparences anodines peuvent cacher des messages plus profonds et grandement inspirer d’autres œuvres. 

Après avoir été un exemple pour de nombreuses séries actuellement produites, on peut se demander ce que nous réservera l’avenir quand aux futurs cartoons qui seront diffusés dans les années à venir.

Sources :
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Par Perle Rouge