© 2024 Haut et Court

Après “Ma vie de Courgette”, Claude Barras revient avec “Sauvages”, sélectionné en compétition officielle au festival international d'Annecy 2024. Le long-métrage en stop-motion nous fait plonger dans une forêt foisonnante de détails. Si certaines thématiques et certains personnages manquent de modernité dans leur traitement, le film propose tout de même un solide message écologique qui ne peut qu'encourager ses spectateur·ices à la protection de l'environnement et de la biodiversité.



📄 Synopsis
À Bornéo, à la lisière de la grande forêt tropicale, Kéria recueille un bébé orang-outan trouvé dans la plantation de palmiers à huile où travaille son père. Au même moment Selaï, son jeune cousin, vient trouver refuge chez eux pour échapper au conflit qui oppose sa famille nomade aux compagnies forestières. Ensemble, Kéria, Selaï et le bébé singe vont lutter contre la destruction de la forêt ancestrale, plus que jamais menacée. Mais pour Kéria, ce combat sera aussi l’occasion de découvrir la vérité sur ses origines.

 

Une immersion totale et crédible dans la forêt de Bornéo

Le film ne commence pas tout de suite sur des images en stop-motion mais plutôt sur une série de cartons permettant d'afficher les noms des studios, des distributeurs et des partenaires sur un fond noir. Par la suite, une citation d'Antoine de Saint-Exupéry est montrée à l'écran : « Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants ». Sur fond de musique mystérieuse, nous sommes ensuite plongé.e.s en pleine forêt. Le ton du film est donné et son message écologique est puissant dès les premières minutes.

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Le long-métrage fait le choix audacieux de n’utiliser quasiment aucune musique pour obtenir le rendu le plus réel possible. Ainsi, la faune et la flore rythment le film par leurs cris, par les courants d’eau ou encore par le bruissement des feuilles. À de très rares moments, Sauvages se dote de musique pour l’évocation de moments oniriques ; c’est le cas par exemple lors de la rencontre entre la déesse panthère Tepun et la jeune Kéria.

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La forêt est le tour de force de ce film : son ambiance est très réussie et sa conception s'approche au plus prêt du réel — les textures et la lumière caressant délicatement chaque élément. L’animation en stop motion est très fluide, en particulier lors des scènes où Oshi se balance de branches en branches. Ses mouvements semblent harmonieusement imprévisibles, raison de plus pour féliciter tous les animateur·ices derrière cette production.

 

Un propos écologique nuancé

Tout au long du film, l'opposition entre la nature et la technologie est bien traitée, en évitant l'écueil du manichéisme. Le désastre écologique menaçant la forêt est plus que palpable et réel. Les antagonistes du film ne sont pas une menace informe : ce sont des milices, des cols-blancs envoyés du gouvernement lui-même, n’ayant à la bouche que des termes capitalistes complètement déconnectés de la réalité. Nous pourrions croire que c’est une dépiction déjà-vu très caricaturale de ces personnages mais elle est malheureusement très réaliste et actuelle.

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La force de Sauvages est d’utiliser des stéréotypes déjà vus dans des œuvres traitant du même sujet. Kéria est une ado passant la majeure partie de son temps sur son portable et les réseaux sociaux. Or, c’est cette addiction qui permet permet d’apporter une aide concrète à la population locale. Le grand-père penan (nom du peuple de la forêt de Bornéo) de Keira est distant du monde moderne, pourtant il utilise un smartphone à plusieurs reprises, le chargeant même en pleine forêt. De la même façon, Selai utilise plusieurs fois un briquet, argüant/expliquant que c'est plus facile ainsi. 

En définitive, nous sommes bien loin du cliché d’une population de sauvages qui découvre la technologie et qui en est tout de suite fascinée. Ici ces objets modernes se sont fait une place dans leur quotidien sans pour autant enlever leurs us et coutumes.

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Autre cliché utilisé avec brio : le métissage de Kéira. C’est un ressort scénaristique qui pousse le personnage principal à reconnecter avec ses racines. C’est naturellement le cas de Kéira, qui l'amène à faire aussi à faire le deuil de sa mère et à se rapprocher de son père. Et contre toute attente, sa double nationalité est la clé qui permet de défendre efficacement la forêt de Bornéo.

Le film se permet d’être critique vis-à-vis de la technologie — la blague du GPS en pleine forêt fait mouche — sans pour autant la diaboliser : le briquet est plus efficace pour allumer un feu et les réseaux sociaux sont montrés comme mobilisateurs et efficaces pour une lutte commune. 

L’utilisation du terme “sauvages” et ses très nombreuses répétitions au fil du récit permettent de changer le point de vue de chaque personnage qui s'interroge ainsi sur ses agissements. Ils sont aussi destinés aux spectateurices les plus jeunes pour les mêmes raisons.

Sauvages brille ainsi par ses thématiques écologiques servies par des tropes déjà-vu mais utilisées habilement.

 

Quelques écueils, tout de même

Des personnages féminins stéréotypés

⚠️ Attention la partie suivante contient des spoilers sur l’intrigue du film.

Même si Sauvages brille dans sa mise en scène et ses thèmes, il n’est pas pour autant exclu de défauts. La première déception du film est la représentation de certains personnages féminins et leur rapport à la maternité.

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La mère de Keira est décédée tout comme celle d’Oshi. Cette tristesse commune les rapproche, les amenant à développer une relation quasi fusionnelle. Mais c’est le type de relation qui pose problème, car là où leur douleur commune d'avoir perdu un être cher pourrait les mettre sur un pied d'égalité, Kéira devient tout de suite, d’instinct,  la nouvelle mère d’Oshi à seulement 11 ans. 

Pourquoi ne pas les avoir définis comme des frères et sœurs ? Ce rôle de mère rend la douleur de la jeune fille beaucoup moins légitime en comparaison avec celle du jeune primate. 

Certes, Oshi est très jeune et le décès le frappe tout juste. Mais si Kéira avait été un garçon, est-ce que celui-ci se serait mis dans une posture paternelle envers Oshi dès le début du récit ? Par exemple, Selai n’endosse même pas cette position. À part dans les premières minutes du film où il dit qu’il souhaite s’occuper d’Oshi personnellement, le récit n’a plus le temps de le considérer comme tel. Le personnage de Selai prend une autre fonction : il devient celui qui présente la forêt et ses secrets à Kéira.

 

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Le symbole de devoir maternel continue au fil du récit. Alors qu'Oshi a faim, il se précipite sur le buste de la jeune fille souhaitant l'enlever pour téter, ce que Kéira ne peut évidemment pas faire étant donné son âge. Cette scène aurait pu servir de ressort comique en s’attardant beaucoup moins dessus et en évitant de faire un plan rapproché sur le buste de Kéira, plan qui met très mal à l’aise.

La mère est Selai est un autre personnage dont le traitement est décevant. Elle n’est réduite qu’à être une mère de remplacement pour Oshi, en plus de Kéira — vu que le récit souhaite la définir ainsi. Le moment culminant de ce discours est lorsqu’elle fait téter Oshi à son sein. Nous avons l’impression que le film souhaite faire culpabiliser son personnage principal, dans le sens où si Kéira avait pu allaiter Oshi plus tôt, il n’aurait pas été dans un tel état de malnutrition et déshydratation. Par extension, le discours d’une « vraie » mère qui allaite son enfant est profondément arriéré, sexiste et misogyne.

Pour continuer sur le personnage de la mère de Selai, même si sa force est de faire barrage aux industriels que l’on voit dès les premiers instants où elle apparaît, elle est avant tout définie comme une mère qui défend son territoire. Et non l’inverse.

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L’alimentation vegan pointée du doigt

Un autre sujet qui a fait tache lors du visionnage du film est l’utilisation du mode de vie vegan. 

Pour rappel, le mode de vie vegan consiste à ne consommer aucun produit d’origine animale tel que la viande, les œufs, les produits laitiers ou encore le miel. Les produits du quotidien sont aussi impactés comme les vêtements (cuir, laine, soie) mais également les produits cosmétiques, qui peuvent être utilisés sur les animaux comme tests avant d’être commercialisés. Il s’agit d’une façon d’être au monde motivée par une philosophie de vie sérieuse ; toutefois, dans le film, aucun personnage ne la traite correctement. 

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Lors d’un repas avec toute sa belle-famille penane, Keira prétexte être vegan afin d’éviter de manger des aliments avec lesquels elle n’est pas familiarisée, comme du serpent grillé. Il est reproché à Kéira que si elle ne mange pas, elle empêche les autres de se nourrir car elle ne respecte pas la tradition indiquant que les invité·es doivent manger avant le reste des convives. La jeune fille, peu convaincue, se force alors et trouve le serpent grillé délicieux.

Dans ce cas-ci, le terme vegan est utilisé pour décrire un mensonge, ce que les spectateurices comprennent dès le début. Le lendemain du repas, lors d’une nouvelle chasse, Selai s’exclame « Ce soir, on mangera vegan » A ce moment-là, le terme est utilisé une nouvelle fois comme ressort comique.

C’est uniquement de cette façon que l’on entend le mot vegan, alors qu’il existait des façons plus appropriées de le faire.

Par exemple, Sauvages insiste sur la protection des espaces naturels et de ce fait, il adopte une position écologique forte, tout comme le mode de vie vegan : le bien-être animal est un point clé du mouvement ainsi que la volonté de lutter pour une meilleure préservation de l'environnement. Le film aurait pu mettre en comparaison ces deux modes de vie et offrir une réflexion pertinente. Cette pique, au mieux humoristique, à l'attention d'un mode de vie alternatif, fait tache dans le propos écologique global du film.

Évidemment le film a déjà beaucoup à faire en 1h27 et ne peut pas se permettre de tout traiter, mais dans ce cas mieux il est préférable de ne pas citer un thème plutôt qu’en faire une mauvaise utilisation.

⚠️ Fin de la partie spoilers du film

 

Crédit photo : Sabine Papilloud

 

Sauvages un film engagé

Malgré quelques écueils qui ont gêné le visionnage, nous ne pouvons que vous encourager à voir ce film dès le 16 octobre en salles. Ce long-métrage d'animation mérite d'être vu, pour sa position juste et nuancée sur la protection de la forêt ou sur l'opposition entre technologie et nature.

Alors que les consciences s'éveillent de plus en plus sur les enjeux climatiques et la protection de notre environnement, Sauvages répond très bien au besoin de sensibiliser toujours plus à cette cause sans caricaturer le combat. Ainsi, il est un excellent matériel pédagogique pour former les plus jeunes à être plus respectueux·euses de l’environnement. Dans cet esprit, le film détaille dans ses crédits l’existence de son site dédié contenant « de nombreuses ressources, outils et appels à mobilisation pour aller plus loin après le film et initier un changement concret ».

Fin de l'article
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Par Zel