Arco est dans sa tenue arc-en-ciel, portant Iris. © Remembers - MountainA - Diaphana

“Arco”, le premier long-métrage d’Ugo Bienvenu, récompensé par le Cristal du long-métrage à Annecy, est sorti ce mercredi dans les salles de cinéma françaises. Avec cette œuvre de science-fiction pour tous les publics, découvrez ce film résolument optimiste à travers notre critique et plongez dans l’imaginaire rétro futuriste et solarpunk d’Ugo Bienvenu.



📄 Synopsis
« En 2075, une petite fille de 10 ans, Iris, voit un mystérieux garçon vêtu d'une combinaison arc-en-ciel tomber du ciel. C'est Arco. Il vient d'un futur lointain et idyllique où voyager dans le temps est possible. Iris le recueille et va l'aider par tous les moyens à rentrer chez lui. »

Ugo Bienvenu, un parcours atypique entre BD et animation

Né d’un père diplomate, Ugo Bienvenu passe son enfance aux quatre coins du monde : au Tchad, au Mexique, et au Guatemala. Il revient en France, à l’âge de 15 ans, à l’école d’Estienne, et il intègre l’ENSAD à Paris (École des arts décoratifs) puis finalement l'École des Gobelins. Grâce à l'obtention d’un concours interne, Ugo Bienvenu fait ses armes à CalArts, aux Etats-Unis, duquel il finit diplômé en 2010. 

Bien qu’il n’y reste pas, Ugo Bienvenu développe la branche animation du studio Miyu Production et y réalise son premier court-métrage : Maman!, avec Kevin Manach, sélectionné ensuite dans de nombreux festivals. 

Après de multiples réalisations entre 2010 et 2014, le duo est ensuite repéré et engagé par le studio Passion Pictures. Ils y font de la publicité, mais y développent aussi la courte série Ant-Man! pour Marvel en 2016, produite entièrement en France. En 2018, il fonde le studio Remembers avec son ami Félix de Givry, rencontré sur le tournage d’Eden de Mia Hansen-Løve. 

ANT-MAN! © Marvel, 2017

C’est désormais avec son propre studio qu’Ugo Bienvenu s’essaye aussi à des formats courts, notamment avec des clips musicaux. Il réalise en 2015 le clip Fog du groupe Jabberwocky, en 2017 Dolly.Zero d’Antoine Debarge, ou encore Alpha Centaury pour la republication du magazine culte de science-fiction Métal Hurlant.

Ugo Bienvenu réalise également des clips publicitaires pour de grandes marques de luxe de prêt-à-porter, telles qu’Hermès, Thierry MughlerGentle Monster, ou encore la marque de jeans Edwin.



Dans l’ordre : Publicité pour Hermès & Mughler (en haut), Gentle Monster et Edwin (en bas) © Remembers

En parallèle de son parcours d’animateur, Ugo Bienvenu développe aussi une carrière de bédéiste. Il signe notamment plusieurs albums, dont Sukkwan Island en 2014, adapté du roman de David Vann, mais dessine également des œuvres originales de science-fiction, telles que Paiement Accepté en 2017 et Préférence Système en 2019, qui a été récompensée par le Grand Prix de la Critique au Festival de BD d’Angoulême. A peu près en même temps qu’il crée le studio Remembers, il fonde la maison d’édition Réalistes. Par la suite, la science-fiction continue de nourrir son crayon et le bédéiste sort de multiples bandes-dessinées, dont Développement Durable, ou encore Total

Que cela soit par l’animation ou la BD, Ugo Bienvenu s'interroge dans ses récits sur le devenir de l'humanité, souvent par le prisme de la robotique, et aime tourner au ridicule le capitalisme et la surconsommation. Mais surtout, il questionne la condition de l’être humain et son héritage culturel et artistique.


© Éditions Denoël, 2025

Son style coloré est très reconnaissable, transportant qui le regarde directement dans un vieux comics des années 40/50. Et pour cause, ses inspirations sont les dessinateurs Alex Raymond (Flash Gordon) et Frank Godwin (Rusty Riley), deux figures phares de l’âge d’or des comics aux États-Unis, dans les années 40. Ugo Bienvenu ne se contente pas seulement du 9eme Art, puisqu’il s'imprègne aussi de multiples références comme les peintures d’Edgar Degas2001 l'Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick ou encore les films d’animation japonais comme Le Voyage de Chihiro ou encore Princesse Mononoké.

Ses multiples expériences en tant qu’auteur de BD et réalisateur, son univers graphique singulier et ses choix de thématiques qui résonnent avec le présent l'ont propulsé sur la scène internationale. Ainsi, pour son premier long-métrage, il a pu compter sur le soutien considérable de Natalie Portman et Sophie Mas, qui ont coproduit Arco avec leur studio Mountain A


À la poursuite de(s) demain(s)

Avec Arco, Ugo Bienvenu est bien décidé à rester dans la droite ligne de ses BD et à écrire une histoire originale à destination d’un public familial, comme les films de Hayao Miyazaki, ou d’autres, comme Bambi ou Pinocchio.

Même en long-métrage, l'esthétique du bédéiste fonctionne à merveille : l'animation rend encore plus vivant son trait réaliste et les couleurs sont toujours aussi marquantes. 

Ces couleurs chatoyantes couplées à l’univers rétro-futuriste, ainsi que le message et le ton du film, en font un étendard parfait du solarpunk. Ce terme désigne un mouvement artistique de science-fiction que l’on retrouve en architecture, en littérature et au cinéma, visant à représenter le futur d’une façon utopique, où l’être humain aurait laissé les conflits derrière lui afin de rebâtir et redéfinir une société écologique plus égalitaire et plus altruiste. Foncièrement anticapitaliste, le solarpunk est bâti en opposition au cyberpunk, un genre de science-fiction où le futur est synonyme de pessimisme et de conflits, où les multinationales écocidaires sont partout, et où les machines et la cybernétique sont le nouveau quotidien de l’humanité.

Exemple d’oeuvre solarpunk : Aeon World - Ish & Mima de Jules Naleb  © 2025 KINAYE

Dans Arco, bien qu’il ait conquis le voyage dans le temps, l’être humain mène un train de vie modeste, en harmonie avec la nature. Arco et ses semblables habitent dans des stations dans les cieux pour permettre à la Terre de « se reposer ». On ignore la raison de ce nécessaire repos, mais en faisant le parallèle avec notre situation actuelle, on peut imaginer que l’homme a gagné les cieux pour que les sols et les océans ne soient plus marqués et pollués par les activités humaines. Dans le futur d’Arco, l’ensemble de l’humanité est plus que jamais conscient de son empreinte et des multiples crises écologiques qu’a subies la planète. Leur mode de vie a complètement changé : par exemple, la famille d’Arco fait pousser ses propres légumes de manière éco-responsable et communique avec la faune, ayant appris leur langage respectif par mimétisme.

Maison d’Arco © Remembers - MountainA - Diaphana

Ce qui est marquant avec le travail d’Ugo Bienvenu, c’est la transmission de ce « mode de vie ». Dans Arco, le réalisateur dresse le portrait de deux futurs qui se répondent l’un l’autre. Il y a celui d’Arco, situé en 2932, véritable vitrine du solarpunk et d’un monde meilleur ; et celui d’Iris, qui nous propulse en 2075. Dans une interview pour Les Arts Dessinésle réalisateur explique qu’il voit ce futur de 2075 « comme une caricature poussée de [2025] où seraient exacerbées toutes les dérives que l’on connaît déjà ». L’époque d’Iris semble à la fois proche et lointaine de la nôtre dans le film : les êtres humains semblent hyper-connectés entre eux, mais sont pour autant très repliés sur eux-mêmes. Ainsi, les robots ont pris le relais des travaux jugés éprouvants (le métier d’éboueur·euse, l’enseignement ou le maintien de l’ordre) pour que l’humanité puisse se dégager du temps et poursuivre d’autres carrières professionnelles. Pour autant, les parents d’Iris sont toujours en déplacement professionnel et ne communiquent avec elle que par l’intermédiaire d’hologrammes. C’est le robot domestique Mikki qui prend soin d’Iris et de son petit frère nourrisson. 

En 2075, l’humanité est aussi bien loin d’avoir adopté des démarches écologiques pour la préservation de l’environnement, les catastrophes climatiques sont  telles que les tempêtes ou les incendies font rage. La population se confine individuellement dans des bulles de protection plutôt que de chercher une solution collective qui ne soit pas écocidaire.

© Remembers - MountainA - Diaphana

Læ spectateur·ice est donc face à deux futurs plausibles : l’un, où l’on continue à vivre dans un monde individualiste et capitaliste, en proie aux changements climatiques et dépourvu de conscience écologique ; l’autre, où l’on bâtit un futur optimiste, collectiviste et respectueux des limites planétaires, pour les générations futures et pour le vivant tout entier.

Le déroulement scénaristique est astucieusement construit. En effet, la venue d'Arco permet au jeune garçon de sensibiliser les spectateur·ices à ce nouveau futur. Par ses interrogations naïves à propos de la société d’Iris, il pointe également du doigt les contradictions de notre époque et participe à son échelle à ce que l’humanité évolue dans une autre direction. Le jeune garçon apprend à Iris le langage des oiseaux, ce qui participera à la marquer positivement. Elle en sera tellement inspirée qu’elle fera en sorte de contribuer, à son échelle, au bon développement du futur d’Arco. Le fait que les protagonistes sont des enfants permet au film d’être encore plus pertinent sur son message : c’est pour elleux  — les prochaines générations  — que l’humanité doit se penser comme faisant partie intégrante du vivant présent sur Terre.

© Remembers - MountainA - Diaphana

La bande-son composée par Arnaud Toulon porte avec beaucoup de puissance le visuel tranché et coloré ou les thématiques du film. D’une part, les instruments à cordes, à la fois solides et puissants, partent dans des envolées et retranscrivent bien l’idée d’un futur radieux et confiant d’où vient Arco. D’autre part, les chœurs reflètent un futur qui arrive à un point culminant de son histoire, qui invite læ spectateur·ice à se questionner sur l’avenir vers lequel iel souhaite se diriger. Puisqu'Ugo Bienvenu est très inspiré par les films du Studio Ghibli, on constate une continuité artistique entre les compositions d'Arnaud Toulon et celles de Joe Hisaishi, qui a composé la grande majorité des musiques des œuvres du studio japonais. Le compositeur français n’en est pas à sa première collaboration avec Ugo Bienvenu, puisqu’ils ont notamment collaboré ensemble sur de nombreuses publicités pour Hermès ou sur le trailer de la BD Préférence Système, qui s’inscrit aussi dans le mouvement solarpunk.


Des personnages qui s’inscrivent déjà dans la pop culture 

Bien que les thématiques et la direction artistique soient ce qui marque le plus de prime abord, l’écriture des personnages est tout aussi remarquable. 

Le duo que forment Iris et Arco est très attachant et le traitement des enfants est très réaliste. Iels ont tous·tes les deux des objectifs à hauteur d’enfants sans pour autant oublier de rêver plus grand. Ainsi, la témérité d’Arco et son obsession pour accompagner sa famille lors des voyages dans le temps est largement compréhensible, il souhaite découvrir de nouvelles époques, mais il est mis de côté à cause de son jeune âge. De la même façon, Iris se sent délaissée par ses parents et mise de côté malgré la présence de son robot-nourrice, Mikki. Quand Arco arrive, le quotidien de la jeune fille s’en voit chamboulé et elle souhaite à tout prix aider le jeune voyageur du temps à rentrer chez lui. Comme le récit se déroule sans la présence des adultes, chaque enfant apprend de l’autre. En effet, d’une part, Arco commence à apprendre le langage des oiseaux à Iris et à développer sa sensibilité déjà présente envers la nature et le vivant ; d’autre part, Iris aide Arco dans sa quête et familiarise le jeune garçon à son époque. 

Le chara-design est simple et s'éloigne des stéréotypes de genre. Dans Arco, le futur est non-genré, puisque que filles et garçons ont les mêmes vêtements, que ce soient l’uniforme scolaire d’Iris ou encore les tenues pour voyager dans le temps porté par la famille d’Arco. Les tenues des personnages sont certes riches en  couleurs, mais leur design retrofuturiste les rend iconiques à l’écran.

Malgré cette réussite, le film tombe à mon goût dans la facilité en créant une romance entre Arco et Iris et alimente le stéréotype comme quoi les personnages principaux masculin et féminin doivent développer des sentiments amoureux l’un envers l’autre dès leur première rencontre. C’est un ressort narratif éculé dans la fiction que je trouve superflus. Leur relation aurait été tout aussi puissante sans romance à mon sens. Ce n’est qu’un petit défaut qui ne ruine en rien mon visionnage.

© Remembers - MountainA - Diaphana

Pour revenir sur les personnages, le robot Mikki est très marquant dans le film. Sa première apparition à l’écran est magnétique et on accroche tout de suite à ce personnage malgré son ton monotone et ses yeux rouges perçants, sans oublier son flegme qui contraste avec les tempéraments des enfants. Toutes ces caractéristiques participent à son iconisation. D'ailleurs, sa voix est un mélange des voix des comédien·nes Swann Arlaud et d’Alma Jodoroskwy qui doublent les parents d’Iris. C’est un détail amusant qui renvoie directement à son rôle, celui d’être un parent pour Iris. Mikki est prêt·e à tout pour le bien-être d’Iris, quitte même à outrepasser ses fonctions, se mettre en danger et sacrifier sa chair mécanique. À mes yeux, son design et ses couleurs en font un nouveau symbole de la pop-culture et du cinéma. 

© Remembers - MountainA - Diaphana

 

Si on se souvient d’Arco pour ses protagonistes, on se rappelle aussi parfaitement des antagonistes que sont Dougie, Stewie et Frankie. Doublés respectivement par Vincent MacaigneLouis Garrel et William Lebghil, ce sont des ufologues trentenaires un peu loosers aux vêtements flashy que l’on croirait tout droit sortis des années 70. Chacune de leur réplique fait mouche et ce trio apporte de l’humour dans ce récit riche en émotions, grâce à leur maladresse, leurs disputes mais aussi par leur complicité.

© Remembers - MountainA - Diaphana

Arco, dans la lignée du cinéma d’animation français de science-fiction

Alors qu’il s’agit de son premier long-métrage, le réalisateur marque déjà l’industrie du cinéma d’animation. Avec son jeune studio Remembers et de son expérience de bédéiste, épaulé de productrices confiantes, Ugo Bienvenu livre une fable futuriste réussie, dont le propos est très actuel et qui se veut accessible à tous·tes. Avec ses visuels colorés, ses personnages bien écrits et bien interprétés et sa  bande-son mémorable, Arco a tout pour séduire. 

Récompensé par le Cristal du long-métrage au Festival d’Annecy, Arco emboîte le pas à d’autres œuvres animées françaises de science-fiction prestigieuses telles que Mars Express de Jérémie Périn ou les œuvres de René Laloux comme Gandahar ou Les Maîtres du Temps. Dans la continuité de ses prédécesseurs, Arco se démarque en s’inscrivant pleinement dans le mouvement solarpunk et en proposant un nouvel imaginaire écologique. C’est une démarche artistique et politique appréciée, encouragée notamment par les scientifiques du climat afin d’initier une déconstruction globale du capitalocène.

Sources :
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27/10/2025 à 13h00 : L'article a été modifié pour corriger des coquilles et ajouter des hyperliens

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Par Zel

Salut moi c'est Zel :) À travers mes longs articles alambiqués je parle de ce que j'aime comme l'animation indépendante et les œuvres jeune public de qualité. J'aime me tenir au courant de toutes les actualités liées à l'animation et je souhaite voir de meilleurs représentations dans notre médium préféré !