Mad God

Avec sa production longue de 30 ans et son esthétique unique, Mad God est un OVNI du cinéma d'animation. Porté par une stop motion parfaitement maîtrisée, le film d'horreur de Phil Tippett nous fait plonger dans un cauchemar sanglant et cryptique, duquel il est difficile de revenir intact.



📢 Avertissement
Cet article évoque un long-métrage d'animation destiné à un public averti et peut ne pas convenir à une jeune audience. Des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité de certain·es spectateur·ices.

 

Peu nombreux sont les films d’animation à avoir exploré le genre de l’horreur. Les films assimilés à ce genre sont soit calibrés pour les enfants (Coraline et L’étrange Noël de Monsieur Jack d’Henry Selick), soit à cheval avec un autre genre, comme le thriller (Perfect Blue de Satoshi Kon). 

Mad God, sorti en 2023 et réalisé par Phil Tippett, est un film d’animation unique en son genre pour la radicalité de son parti-pris. C’est une proposition encore jamais vue dans un long-métrage d’animation qui va nous montrer des images d’une rare violence.

L’histoire même de la création de ce film ainsi que de son réalisateur mérite une adaptation filmique. Une épopée de 30 ans, menée par une légende du cinéma, pour aboutir sur un film onirique, chimérique et profondément perturbant.

Scénario
Un Assassin surgit des abysses dans une cloche à plongée et s’enfonce au cœur d’un univers infernal peuplé de créatures mutantes et de scientifiques fous. Bientôt capturé, il devient la victime du monde qu’il est chargé de détruire…

 

Donner vie au cauchemar d’un maître

Phil Tippett est une des figures les plus reconnues du monde des effets spéciaux. C’est un maître des effets pratiques ; il s’agit des effets utilisant des marionnettes ou animatroniques, autrement dit de l’animation de volume (stop-motion). Opérant dans le cinéma depuis les années 70, il a créé les At-At et des Tauntauns de Star Wars, le ED-209 de Robocop, les insectes de Starship Troopers et les dinosaures de Jurassic Park. Récompensé plusieurs fois, c’est un pionnier dans son domaine. Il a même fondé son propre studio : Tippett Studio. C’est en étant témoin de l’arrivée des effets spéciaux numériques sur Jurassic Park qu’il a remis en question son art et a opéré une transition vers les effets numériques pour son studio.

L'animation des At-At par Phil Tippett (Irvin kershner, L'Empire contre-attaque, 1980).

Mad God est un film qui mit 30 ans à se réaliser. Phil Tippett a eu l’idée de ce projet à la fin des années 80. Il a travaillé dessus pendant quelques années, mais l’arrivée de Jurassic Park bouleversa profondément le réalisateur. La qualité des effets visuels numériques présents dans ce film convainquit Phil Tippett de l’obsolescence du stop-motion et des effets pratiques. Ce fut alors le début de 20 années de pause pour Mad God. C’est en 2010 que des collègues du réalisateur ont découvert le projet et l’ont poussé à le reprendre.

“These were the guys who grew up on Robocop and all of that stuff and that’s what they wanted to do : work with lights and models and tangible things.”

"Ces gars-là ont grandi avec Robocop et tout ça et c'est ce qu'ils voulaient faire : travailler avec des lumières, des modèles et des choses tangibles."

Mad God est un projet ambitieux et inhabituel pour le monde du cinéma d’animation. C’est pour cette raison qu’il a été difficile à financer. Phil Tippett a dû se tourner vers le financement participatif et c’est grâce à une campagne Kickstarter qu’il a réussi à récolter 124 156 $, pour un budget final de 150 000 $. La plupart des animateur·ices travaillant sur le film furent des bénévoles, des collègues et des étudiant·es. Certain·es n’avaient pas forcément les compétences nécessaires, mais tous·tes avaient la passion et le désir de mener ce projet à bien. La création de Mad God a été une période très dure pour Phil Tippett qui impacta fortement sa santé mentale.

Mad God making of

En France, le film a été présenté le 15 septembre 2021 à L’Étrange Festival à Paris, puis la société de distribution Carlotta Films a annoncé sa diffusion en salle le 26 avril 2023. Il a été distribué dans très peu de salles.

 

Mad God, un monde effroyable à découvrir

Mad God est un film réalisé en stop motion à l’esthétique unique. Nous pourrions l’assimiler à la catégorie du body horror

C’est un sous-genre du cinéma d’horreur qui se concentre sur la torture, la mutation, la mutilation, la décomposition, la dégénérescence et la transformation du corps humain. Le film convoque un univers visuel lié à l’organique, à la chair, que ce soit dans certains décors ou créatures. Les environnements sont suintants, souillés par des fluides corporels. Le monde dépeint est répugnant, poisseux et dérangeant. Les corps des créatures qui le peuplent sont grotesques, monstrueux, difformes, torturés, meurtris. Mad God mélange également à cet univers organique un univers industriel, mécanique, pollué. 

Et pour finir, Phil Tippett semble mutiler lui-même le corps de son propre film en y insérant des éléments de monde réel. On peut voir des passages avec des acteur·ices en live action ainsi que des vidéos.

Des visuels mêlant organique et mécanique.

L’histoire de Mad God peut être résumée ainsi :

« Un assassin s'enfonce dans les profondeurs de la terre pour arriver dans un monde cauchemardesque. Il va s'aventurer dans ses entrailles pour le détruire, découvrant ainsi différentes strates de cet univers fou. »

Le monde dépeint dans Mad God est cauchemardesque, et se pose comme un reflet de la nature humaine dans toute son horreur. La sauvagerie et la cruauté de certaines créatures, les supplices et l’exploitation subis par les autres. Toute cette violence, ces visions de guerre et de pollution ne font qu'illustrer un monde profondément nihiliste, où l’espoir n’a pas sa place. Le film nous fait explorer un monde profondément inhumain et décadent. Le but de Mad God est de poser læ spectateur·ice en tant que témoin de cette folie, de cette horreur, d’explorer ce monde plutôt que de suivre une véritable histoire construite narrativement.

Un paysage de cauchemar peuplé par des êtres étranges.

 

Un film dur d’accès

Avec son film, Phil Tippett met en images une vision complètement personnelle, brute et sans compromis. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a été difficile de trouver des financements. Ce n’est pas un projet réfléchi pour læ spectateur·ice, mais la transposition du cauchemar de Phil Tippett. Mad God se vit comme une expérience sensorielle. Il est muet et contemplatif. Il se base sur les sensations qu’il provoque plus que sur ce qu’il fait comprendre. Le réalisateur décrit son propre film en ces termes : 

« La forme finale de Mad God, c’est le souvenir qu’on en a après visionnage ; c’est comme se réveiller et explorer le souvenir d’un rêve qu’on vient de faire. C’est ça, l’expérience. Pas le film lui-même – le film est seulement un moyen d’y parvenir. »

Des créatures toutes droites sorties des enfers.

Chacun a son propre ressenti après le visionnage de Mad God. Toutefois, nous pouvons tous·tes nous mettre d’accord qu’en sortant de son visionnage, nous avons la sensation d’avoir été enfermés dans une prison de terreur. Non parce que le film est terrifiant en soit, mais parce qu’il semble mettre en images le désespoir lui-même.

Il est clair que tout le monde ne pourra pas apprécier Mad God. Tout le monde n’a pas la capacité de le voir. Il reste un film violent dans les images qu’il montre. Læ spectateur·ice doit supporter toute l’esthétique organique du film qui est pensée pour être répugnante, abjecte, repoussante. Le film pousse la violence visuelle jusqu’à une scène d’éviscération particulièrement éprouvante grâce au design sonore retranscrivant fidèlement les bruits de chairs mutilées. De plus, l’élément le plus compliqué avec Mad God est l’absence d’histoire claire. La quête de l’assassin ne paraît être qu’un prétexte pour découvrir ce monde cauchemardesque. Chaque spectateur·ice peut essayer de comprendre, de lui trouver un sens. Toutefois, il n’existe pas d’interprétation claire du film, car il n’a pas été conçu pour relater un récit précis. C’est ce point qui rend Mad God difficile d’accès. 

L'assassin, notre guide dans le monde torturé de Mad God.

 

Pour parler de Mad God, il ne faut pas essayer de donner un sens à ce qu’il s’y passe. Certains peuvent y voir l’histoire biblique de la construction de la tour de Babel ou bien celle de l’apocalypse où Dieu punirait les hommes pour leur décadence. Le but de Mad God n’est pas de vous raconter une histoire, mais de vous enfermer dans un cauchemar. Pour certains, Mad God sera ennuyeux et étrange à cause de son absence de récit. Pour les autres, le film sera une expérience sensorielle de laquelle vous ne ressortirez pas indemne.

Au final, qui est le Mad God ? Le dieu fou qui donne son nom au film. Et si ce n’était nul autre que Phil Tippett. C’est lui le créateur fou. Le Mad God ne peut être que l’être qui a osé donner vie à un monde aussi absurde et cauchemardesque.

Fin de l'article
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Par Roxane