20 min
Articles
“Planètes”, une odyssée végétale et onirique
Le dernier bijou de Momoko Seto
15 janvier 2025
Par Zel

Lors du festival d’Annecy 2024, nous avons pu assister au Work In Progress du film “Planètes”, créé par la réalisatrice Momoko Seto. Nous avons découvert un projet pensé au millimètre près et à la réalisation étonnante, combinant animation 3D et prises de vues réelles. C’est un film qui s’annonce fascinant et l’une de mes plus belles découvertes du festival d'Annecy
Avant Planètes, il y avait Planète

Récompensée par le cristal du CNRS en 2021, la réalisatrice Momoko Seto nous présente son nouveau long métrage qui témoigne d’un aboutissement total de son parcours créatif. Car avant Planètes au pluriel, Momoko Seto avait réalisé un triptyque de court-métrages en stop-motion nommés Planète A (2008), Planète Z (2011) et Planète ∑ (2014). Ces trois court-métrages ont constitué les prémices de sa réflexion et de ses outils de travail qui ont mené par la suite à la création de Planètes.
Planète A
Avec le court-métrage Planète A, centré sur la cristallisation du sel, la réalisatrice s’est intéressée au principe de l’accéléré (time laps). C’est un procédé qui s’obtient en assemblant une grande série de photos prises à intervalle régulier d’un même endroit. Il s’agit certes d’une illusion du temps écoulé mais l’accéléré permet ainsi de rendre compte de l’évolution et des changements du sujet photographié. Par cette technique, Momoko Seto a imaginé une planète où les cristaux de sel émergent et se développent tels un animal/végétal.
© Le Fresnoy, Studio National des Arts Contemporains
Planète Z
Dans Planète Z, la réalisatrice mettait en scène des plantes et des champignons avec cette fois-ci un fil narratif plus poussé et par conséquent un rendu moins expérimental. Planète Z était le théâtre d'une guerre de survie entre les végétaux et les champignons. Cette bataille conduisait à la réflexion suivante : la domination d’une espèce sur une autre mène à la fin de la vie. Côté réalisation, le court-métrage se dotait de grandes maquettes et de mécanismes de caméra dont l’entièreté des mouvements étaient programmés. Il s’agissait de la première collaboration de la réalisatrice avec des chercheur·euses pour atteindre les visuels qu’elle souhaitait.
© Sacrebleu Productions, Autre Chose
Planète ∑
Planète ∑, quant à lui, mettait en scène des sauterelles et des criquets. Le court-métrage les présentait comme des kaijus (mot japonais qui signifie “bêtes étranges” et qui désigne des monstres géants des films nippons, le plus connu d’entre eux étant Godzilla). Dans ce court-métrage, les insectes de Momoko Seto ont été magnifiés grâce à des optiques bien particulières permettant de voir en détail leur visage. Aux côtés de ces insectes géants, le court-métrage abordait à sa façon les enjeux de la désertification des sols et du changement climatique. Il s’agit du premier travail de Momoko Seto avec un chef opérateur, celui-ci permet sur le tournage lors des prises de vue de veiller au bon éclairage des scènes, des tons de l’image et de sa qualité.
© Les films de l'Arlequin, ARTE
La nouvelle odyssée de Planètes
La réalisation et production de ces trois court-métrages ont ainsi permis de penser et concevoir des outils et un savoir-faire bien précis lors des tournages. De la même façon, le propos écologique s'est affiné au fur et à mesure des courts-métrages. Planètes s’inscrit complètement dans la continuité des intentions artistiques, techniques et scénaristiques de Momoko Seto, dont Planète A, Planète Z et Planète ∑ sont les premières expérimentations.
Dans Planètes (au pluriel), nous suivons des akènes de pissenlits qui s’enfuient d’une terre détruite par l’humanité, à la recherche d’un nouveau refuge. Après une longue errance dans l’espace, les akènes arrivent sur une planète congelée en phase de réchauffement climatique, qui mène à la libération des glaces de divers spécimens comme des insectes, végétaux et champignons. Ainsi commence la quête des graines de pissenlit à la recherche d’une terre habitable et fertile.
Planètes est une histoire de migration et de la quête d’un foyer. La réalisatrice fait le parallèle avec sa propre situation. Née au Japon, Momoko Seto est arrivée en France pour ses études avant d’y rester durablement. À travers la métaphore des graines, la réalisatrice pose des questionnements sur l’humanité : pourquoi cherchons-nous à nous enraciner à un endroit ?

Avec les graines de pissenlit, l’ambition de la réalisatrice est de raconter une histoire hors de l'échelle humaine en changeant le point de vue. À première vue, cela peut sembler étonnant de s'identifier au nomadisme des végétaux, car on les imagine plutôt immobiles. Cependant, c’est sous cette forme de graines qu’ils le sont le plus à même de se déplacer : les graines ont développé toutes sortes de stratégies pour s'implanter, que ce soit grâce à leur forme et leur ergonomie.
« C’est comme un film d’aventure » s’extasie Momoko Seto. La réalisatrice s’est intéressée aux déplacements des graines de pissenlit lors d’une visite dans un parc. Elle y a ramassé un pissenlit et avant de souffler, a contemplé les akènes. La réalisatrice y a vu non plus de simples graines mais tout un vaisseau spatial futuriste équipé de parachutistes parés à explorer le monde. Ainsi naquit l’idée de cette odyssée végétale.
Une réalisation exigeante pour chaque écosystème
Une réalisation insolite
Planètes est un projet unique en son genre et totalement différent des films d’animation 2D du studio Miyu Productions. Son directeur Tanguy Olivier y voit la possibilité de s'affranchir d’un style de réalisation plus traditionnel. « C’est une approche sur mesure de l’art et de l’autrice » déclare Tanguy Olivier, très enthousiaste.
Pour autant, il s’agit d’une première pour le studio habitué à l’animation traditionnelle, qui s’est vu organiser et préparer beaucoup de tournages en prises de vue réelles pour ce film. Afin de mener à bien la production, le studio Miyu Production a produit une série de prévisualisations pour penser en amont chaque plan en 3D. Cette étape de la préproduction s’est révélée essentielle pour classifier toutes les espèces vivantes qui allaient nécessiter des autorisations de production pour travailler avec des êtres vivants. La prévisualisation 3D a également permis de poser la caméra 3D et de penser aux mouvements des 750 plans du film dans les moindre détails en vue de la préparation du tournage. Dans ce travail de précision où rien n’est laissé au hasard, chaque plan se voit attribuer une lumière, une optique et un mouvement de caméra pensés au millimètre près.

Des environnements réels transformés en décors spectaculaires
Les plateaux de tournages ont été pensés et conçus en puisant les éléments du scénario dépeignant quatre mondes aux écosystèmes bien différents : le monde gelé, la Terre, le monde végétal et enfin le monde des airs. Momoko Seto confie : « Pour moi c’est une sorte de road movie ». Bâtir chaque écosystème revient à construire toute une réflexion autour des types de plantes qui composent chaque plan. Momoko Seto a fait appel à une botaniste avec qui elle a construit les décors et établit le casting des plantes et des insectes.

Pour l’élaboration du monde de glace, Momoko Seto et son équipe sont parti·es en Islande à la recherche de vastes décors. En plus des prises de vue au sol pensées pour l’insertion des akènes dans les plans, iels ont aussi filmé le paysage à l’aide d’un drone pendant trois semaines. Si le froid a rendu le tournage éprouvant, la réalisatrice a pu construire ses axes de caméra et trouver des décors gelés véritablement dépaysants. L’équipe du film est aussi allée au Japon pour y filmer des espèces de papillons et de plantes observables uniquement à Yakushima.
Pour la construction du monde végétal, Momoko Seto et son équipe ont sélectionné le château de Rambuteau, proche de Mâcon en Bourgogne. Ce château abrite une orangerie inutilisée depuis 1910 qui a servi de décor et de lieu de tournage. Son orientation plein sud permet une croissance optimale des plantes, ce qui a permis de se passer des lampes artificielles ou lampes à UV. Le tournage du film a ainsi été rythmé par les saisons, en privilégiant les journées estivales pour profiter un maximum de la lumière naturelle.

Nous avons aussi pu voir quelques photos de toute la machinerie nécessaire pour la conception des plans en stop-motion, soit plus de dix-sept appareils photos soutenus par des structures en bois. L’équipe a également conçu cinq bras robotiques capables de s’adapter à chaque plan répondant à des timecodes bien précis. Les nouvelles optiques et les macros grand-angles ont permis de filmer quelques animaux comme des grenouilles ou des mantes religieuses.

Frank Malmin, directeur de la post-production, nous a présenté un autre univers : le monde des airs. Dans celui-ci nous y voyons les akènes en bas d'une cascade qui chevauchent chacun une limace avant de subir une attaque de champignons.
Momoko Seto souhaitait que les limaces soient montrées comme de véritables montures. Frank Malmin a alors apporté son expertise et a conseillé de filmer un paysage avec un drone pour ensuite reconstruire la topographie des lieux en 3D. Des maquettes ont par la suite été créées et imprimées en 3D pour changer les échelles et ramener certains éléments de décors à une taille totalement différente. De cette façon, la montagne avec sa nouvelle échelle semble bien minuscule face à la limace qui semble énorme. Cette illusion d'échelle pensée par Frank Malmin a permis de bâtir un univers cohérent par-dessus lequel les personnages ont été intégrés en animation 3D.

En définitive, le tournage de Planètes est unique, car il est à la fois nomade et effectué en studio, en fonction de chaque environnement. Chaque plan de ce film hybride est d’une grande complexité étant donné la nécessité des prises de vue réelles qui doivent se conjuguer à des décors 3D en plus des personnages et de leurs déplacements. Cette méthodologie de travail et ces explications ont suscité des applaudissements de toute la salle.

Des piliers émotionnels originaux
La réalisatrice a bien pris en compte ces enjeux à toutes les étapes de conception de son film, en particulier lors des tournages. Le scénariste Alain Mercale était lui aussi présent sur les tournages, prêt à apporter ses conseils et son expertise à Momoko Seto. « Momoko, attention aux spectateur·ices et aux émotions » nous lance la réalisatrice en imitant le scénariste. Ce fil rouge a guidé la production du long-métrage de la préproduction jusqu'au montage final.
Donner vie à des personnages singuliers
Pour susciter l'émotion et permettre aux spectateur·ices de s’investir dans le film, rien ne vaut les personnages, qui facilitent grandement l’identification. Toutefois, on évalue facilement le défi de taille pour une œuvre dont les personnages n'ont rien d'humain à première vue.
Momoko Seto est ainsi revenue sur la création des quatre akènes très réalistes. Pour leur donner vie, la réalisatrice s’est entourée de comédien·nes et leur a demandé de jouer une graine uniquement avec leur corps en imaginant leurs mouvements. Nous avons vu quelques séquences de ces comédien·nes en plein travail, prenant aussi en compte chaque partenaire de jeu et leur façon de bouger. Iels ont été filmé·es et les animateur·ices se sont appuyé·es sur leur performance comme références pour imiter l’expression des mouvements des akènes. Chaque graine est donc caractérisée par un déplacement unique. Cette personnalisation des déplacements a permis ainsi la création d'émotions dont la majorité se fait par le détail et les timings. Un beau défi de conception et de réalisation à la fois drôle et intéressant.

Une bande-son expérimentale
Outre les personnages, l’habillage musical du film joue aussi une part importante pour permettre au public d’être émotionnellement investi dans le film.
C’est au tour du compositeur sur le film de prendre la parole. « Avec tout ce qui a été présenté, vous comprenez pourquoi j’ai envie de travailler dessus ? » lance Nicolas Becker à l’auditoire. Il faut dire que les projets curieux comme Planètes sont le terrain de jeu parfait pour le compositeur, oscarisé pour le sound design du film Sound of Metal en plus de ses multiples interventions en temps que sound designer sur Gravity ou encore Premier Contact. Ce palmarès témoigne du talent de Nicolas Beker à composer pour des projets hybrides et étonnants. Son parcours professionnel est bien loin des savoir-faire académiques, lui qui laisse la place à l’expérimentation, à l’exploration et à la recherche musicale.
Nous avons eu le droit à une vidéo du compositeur dans son atelier en pleine recherche musicale : des sons très singuliers traversent l’espace de travail, atmosphériques ou très bruts. À côté de ces sons expérimentaux, Nicolas Becker utilise aussi des instruments plus conventionnels comme le piano qui est « d’une tonalité juste pour des œufs de têtards » remarque Momoko Seto. Une phrase qui a fait sourire toute l’audience du Work In Progress.

La bande-son de Planètes sonne comme une véritable réinvention musicale. Les instruments ont servi à faire des bruitages et les objets ont été utilisés comme instrument de musique. Chaque intention musicale doit coller au mieux à cet univers, en particulier aux akènes : quels sons émettent-ils, et de quel ordre ?
Ce travail musical a fait appel à énormément de musiciens, chacun ayant apporté sa griffe au projet. Cette hybridation musicale doit tendre vers les spectateur·ices sans pour autant être trop narrative et descriptive. L'idée est d’avoir un tissage entre les sons, les bruitages et la musique tout en collant à la vision de Momoko Seto.
Un projet unique dans le paysage de l’animation

Planètes est un long-métrage étonnant sous tous les aspects : sa conception, son tournage, son animation et sa musique innovent dans une harmonie inédite. Il réussit à imaginer et créer de nouvelles formes d’animation et de réalisation, grâce à une étroite collaboration entre des artistes prêt·es à expérimenter.
Ce fut un travail énorme et passionnant, demandant une constante réflexion pour coller au mieux à la vision précise de Momoko Seto. Le film souhaite utiliser le moins de 3D possible et laisser davantage la place à la nature, à ses imperfections et à l'imprévu. Véritable road movie expérimental aux mondes plus intrigants les uns que les autres, Planètes est un long métrage qui se veut au plus proche des spectateur·ices grâce à sa narration et sa musique : il est ainsi plus facile de s'identifier aux akènes et d'être touché·e par ce film que par les œuvres précédentes de Momoko Seto, qui n’ont pas un fil narratif aussi solide.
En plus de repousser les limites de la réalisation, Momoko Seto livre un message écologique et humain amplifié par des partenaires de réalisation confiants et impliqués dans le projet Planètes.
Nous avons hâte de découvrir cette odyssée spatiale végétale onirique, dont le travail a débuté en 2021 et dont l’achèvement est prévu en 2025. Jetez un œil aux éléments de bibliographie dans les sources pour poursuivre la découverte de l'œuvre de Momoko Seto.
- Planètes de Momoko Seto : une étude de cas mêlant macro, 2D, 3D https://youtu.be/ZF69T9zQ7aU
- Bref Cinéma : Rencontre avec Momoko Seto au Carrefour du cinéma d’animation https://www.brefcinema.com/actualites/news/rencontre-avec-momoko-seto-au-carrefour-de-l-animation