Cartoon Movie 2024 : le renouveau de l'animation européenne

Chaque année le Cartoon Movie, grand événement du long-métrage européen d’animation, réunit plus d’une cinquantaine de projets pour les proposer aux acheteureuses et aux distributeurices internationa·ux·les. Les réalisateurices et producteurices viennent y présenter leurs œuvres en devenir pour y trouver des financements à l’aide de trailers et d’une présentation orale. Si l’on veut découvrir la création d’animation à ses racines, c'est un rendez-vous incontournable. C’est également une étape de sélection par le budget et la faisabilité, où les projets sont confrontés à la réalité de l’industrie créative et ses hauts coûts de fabrication. Pour un public français, c’est aussi un aperçu de la création hors France, qui, si elle ne bénéficie pas des mêmes aides qu’apportent le CNC et les régions, n’en est pas moins originale ou ambitieuse.  

Cette année, ce sont 55 projets qui ont été présentés, et le rassemblement faisait honneur à l’industrie du livre en invitant de nombreux·es éditeurices à participer à l’événement. À raison, car de nombreuses créations d’animation prennent leur source dans des romans, albums jeunesse ou bandes dessinées.

Un aperçu de cet événement à travers dix projets marquants de cette année :

La petite Cavale

Julien Bisaro - Picolo Pictures (France)

Une bonne dose de douceur à l’horizon dans cette production jeune public aux visuels charmants. L’histoire de l’adoption d’un bébé échidné par un manchot voulant devenir père. Ce qui marque, c’est le soin porté aux détails : des designs riches, des couleurs puissantes pour installer une ambiance de bord de mer, une animation naturaliste, mais trouvant beaucoup d’humanité dans l’observation des comportements animaux. Ce sont avant tout nos sens qui sont stimulés : la délicatesse de la coquille d’un œuf translucide, le grondement d'une tempête au loin, les détails macroscopiques d’un monde observé à petite échelle par un être tout juste né. Ce travail on avait déjà pu le découvrir dans L'Odyssée de Choum, précédent film de Julien Bisaro, au sein du jeune studio Picolo Pictures. Si les programmes pour tout·es petit·es ont tendance à adopter un ton pédagogique parfois envahissant, on a ici la promesse d’un film qui ravira les sens des petit·es et grand·es.

The Stone 

Joachim Hérissé, Marion Bulot - Komadoli Studio (France)

Un projet dont le graphisme est envoûtant : des lignes volantes et légères, des couleurs pastels au rendu aquarelle et des visages délicats en quelques traits. The Stone entreprend de parler d'anxiété sociale dans l’enfance, une réalité vécue par beaucoup d'enfants ayant des phobies scolaires ou subissant du harcèlement. On y suivra Timéo, un écolier que le retour à l’école inquiète, mais à qui une pierre magique, offerte par sa grand-mère, donne le courage de reprendre le chemin vers la classe. Porté par Marion Bulot et Joachim Hérissé, le projet est adapté de l’album éponyme. La promesse d’une approche douce et poétique d’un sujet de société, mais aussi un film qui pourra servir à ouvrir des conversations auprès du jeune public.

Les Chiens ne font pas des Chats

Alain Gagnol - Parmi les Lucioles Films

Récit familial avec des éléments fantastiques, et nouvelle création d'Alain Gagnol (Phantom Boy, Nina et le secret du Hérisson), Les Chiens ne font pas des Chats marche dans les pas de ses prédécesseurs. Ce nouveau récit raconte la vie de Jules et sa sœur Lola, suivant le divorce de leurs parents. Dans ce chaos va arriver Jeanne, leur grand-mère, qui va leur révéler un secret familial : le don de communiquer aux animaux. Le dessin, au trait de crayon à papier et aux couleurs chaudes détaille ainsi le visage ridé, mais vif, de Jeanne la grand-mère racontant sa rencontre avec le premier chat lui ayant parlé. Ce don familial de la parole universelle va sûrement être le lien qui, qu’importe les générations ou les espèces, guérit et rassemble les êtres d’une même famille.

Lucy Lost

Olivier Clert - Xilam Films (France)

La jeune Lucy n’est pas comme les autres, elle peut voir et entendre des choses que sa famille ne peut imaginer. Elle s’est échouée un jour sur une plage anglaise au beau milieu de la Première Guerre mondiale. Vivant dans une ville portuaire où les rumeurs vont vite, elle se retrouve partagée entre comprendre ses origines en suivant la mystérieuse Milly ou cacher son secret à jamais. Adapté du roman Listen to the Moon de Michael Morpurgo, et réalisé par Olivier Clert chez Xilam Films (J’ai perdu mon corps, Oggy et les Cafards). La belle animation 2D et les décors marins aux tons désaturés montrent déjà une direction bien établie pour le projet.

Dreamwalker

Rudi Mertens - Vivi Films (Belgique)

Un récit fantastique qui aborde des troubles de santé, cette fois-ci la narcolepsie. Lucy, une fille de 11 ans, a ainsi des sommeils soudains perturbant sa vie, mais dans un de ses rêves elle va rencontrer un garçon amnésique qui ne semble pas faire partie de son imagination. Cette double vie va lui demander de trouver sa place dans ses amitiés et par rapport à son trouble du sommeil. Le film affiche une 2D numérique bien maîtrisée, rappelant par certains choix les productions Cartoon Saloon, mais dans un cadre contemporain urbain, et où l’univers onirique permet des mises en scène audacieuses. C’est un projet classique, mais dont la qualité pourra s’exprimer dans l’écriture et le développement de ces personnages, ce que le format long-métrage aidera certainement.

The treasure of the Wyrm

Giuseppe Pederiali - Small Boss (Italie), XBO Films (France), Maur Films (République Tchéque), Doruntiona Films (Italie)

Projet italien, mais avec de nombreuses coproductions, The Treasure of the Wyrm racontera l’odyssée d’un vieux moine et de l’enfant qu’il a recueilli à travers un monde étrange. La stop-motion, technique choisie pour ce film, illustre bien ce monde médiéval brumeux, anguleux et un peu velu dans lequel on veut nous plonger. Rempli de rencontres tout droit sorties des contes et peintures moyenâgeuses, l'univers étrange du film est déjà affirmé. Le voyage sera aussi prétexte à comprendre l’isolement du vieux moine, son abandon du monde, et la possibilité, à travers l’enfant qu’il accompagne, de trouver le pardon.

Un été à la cité

Jean-Pascal Zadi, Louis Clichy - Silex films (France), Douze Doigts Productions (France)

Kali, 13 ans, quitte la Normandie un été pour habiter Bondy, en banlieue parisienne. Une comédie de Jean-Pascal Zadi, inspiré de sa vie et évidemment interprété par lui-même. L’autofiction, c’est le dada de Zadi depuis le début de sa carrière, pseudo militant débutant dans Tout simplement noir, ou premier président français noir dans En place. Ici, il réinvente sa jeunesse, pour la première fois en animation. Pour cela, il s’associe à Louis Clichy (Astérix le domaine des dieux, Astérix le secret de la potion magique) habitué lui des comédies grand public et de la collaboration avec des réalisateurices de la prise de vue réelle après ses deux collaborations avec Alexandre Astier. 

C’est une 3D très texturée, plus proche d’une esthétique d’un Spider-Verse qui est pour l’instant envisagée. Avec un duo de choc à la réalisation et déjà de nombreuses voix célèbres associées au projet, l’histoire va s’attarder sur la capacité du jeune Kali à s’intégrer grâce à son humour parmi son nouvel entourage, et on peut s'attendre à une écriture de sketchs misant sur ce décalage et l’humour de cringe comedy que Zadi a raffiné dans ses productions précédentes. Mais aussi sa sensibilité dans les portraits de jeunes de banlieue, souvent maltraité·es dans un paysage de l’animation encore très blanc et bourgeois.

Pale Pink

Kuba Mikurda - Madants (Pologne), Letko (Pologne)

Un projet intriguant par sa proposition assez rare : un film psychologique et de science-fiction, mais aussi une métaphore de la relation à la maladie dans une famille séparée par l’espace et le temps. Arborant un graphisme de dessin noir et blanc acéré comme tracé à la plume, adouci par des tons rose pâle, Pale Pink parle de Kuba, un père échoué sur une planète étrangère et fasciné par un trou noir engloutissant tout, et de sa fille Emilia qui elle essaie de voir la beauté de ce nouveau monde à travers ses yeux d’enfants. Et loin d’elleux, dans un lit d'hôpital, sa femme souffrante, Jagoda, qui tente d’entrer en communication avec sa famille malgré sa maladie. Si le portrait qu’il sera fait de ces vécus complexes reste à voir, c’est un projet que l’ambition honore et qui permettra d’explorer des réalités parfois difficiles à aborder auprès d’un public ado. Espérons que ce récit extraterrestre en de nombreux points puisse voir le jour pour pouvoir en juger.

The Wild Inside

Patrick Imbert - Folivari (France)

Des forêts enneigées, des bêtes sauvages et une jeune femme qui s’émancipe dans un Alaska crépusculaire. La rareté des thrillers ado en animation singularise instantanément ce projet, encore plus car il est est porté par un habitué des paysages neigeux : Patrick Imbert, déjà à la réalisation du Sommet des Dieux. On retrouve un dessin réaliste, proche des visages et des éléments naturels, mais aussi ses ambiances entre le grandiose du naturel et la tension d’un drame horrifique à venir. Il adapte le roman américain The Wild Inside de Jamey Bradbury, racontant dans une narration subjective la vie de Tracy Petrikoff, jeune femme ayant perdu récemment sa mère, en conflit avec sa famille d’éleveurs de chien, et touchée par une soif de sang. Le tabou semble être au cœur du film, celui du crime, de la violence, mais aussi ceux des sentiments troubles que ressent l'héroïne pour la mystérieuse Jesse qui arrive dans sa vie. Ce récit à l’ambiance entre chien et loup promet en tout cas un ton rarement vu dans l’animation française qu’il est réjouissant de voir explorer de nouveaux horizons.

Pesta

Hanne Berkaak - Mikrofilm (Norvége), Xilam Films (France), Knudsen Pictures (Allemagne)

Romance interdite, pouvoirs cachés, deux adolescents qui fuient leurs familles respectives, voilà les ingrédients d’une bonne histoire pour un récit ado. Ce projet norvégien, situé durant la période de la peste noire, a pour héroïne Astrid, une noble aux cheveux platine, et le ténébreux hors-la-loi Eiliev. Séparé·s par leurs origines, mais rassemblé·es par leur amour naissant alors que le monde s’effondre autour d’elleux, iels vont devoir tout faire pour s’échapper et vivre leur romance. L’animation 2D numérique à la main, les beaux décors mêlant gothique et champêtre sont séduisants. L’écriture explore le thème connu de l’amour vampirique, mais en plaçant le monstrueux chez l'héroïne, en qui sommeille une pesta, créature folklorique scandinave. Si l’ambiance horrifique affichée sera probablement polarisante, les sensations fortes ont l’air au rendez-vous, et l’on souhaite voir où le projet se situera dans la proposition de romance young adult actuelle.

Conclusion 

En 2024, la création d’animation continue à s’illustrer dans des projets divers aux qualités graphiques impressionnantes. Si le modèle classique d’un récit d’aventure familial reste la norme, la création européenne indépendante continue à s’exprimer avec une plus grande présence des réalisatrices, et des récits adolescents plus osés.

La France reste en position de force en Europe avec 15 films d’initiative française proposés, et de nombreuses coproductions. Cette stabilité est aussi garante de carrières longues en long-métrage, avec Patrick Imbert, Louis Clichy et Alain Gagnol qui reviennent présenter leur nouvelles œuvres. Les statistiques des acheteureuses communiquées par le Cartoon Movie montrent tout de même que le statu quo d’une animation standardisée jeunesse 3D reste la norme qui convainc le plus le secteur de la distribution européenne. Mais les coproductions continuant à se multiplier, le cinéma d’animation européen, sous toutes ses formes, a de beaux jours devant lui.

L’ensemble des pitchs et trailers des films sont disponibles sur le site du Cartoon movie.