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"Amélie et la métaphysique des tubes" : interview de Liane-Cho Han et Maïlys Vallade
« On a envie que l’audience soit en empathie complète avec les personnages »
28 juin 2025
Par Kyuu

Honoré du Prix du public au festival du film d’animation d’Annecy 2025, le film "Amélie et la métaphysique des tubes", adaptation du roman éponyme d’Amélie Nothomb, est sorti en salles le 25 juin. Rencontre avec le duo de réalisateur·ices Liane-Cho Han et Maïlys Vallade pour revenir sur leur parcours aux côtés de Rémi Chayé, la genèse du film et les défis liés à la production d’un long métrage d’animation.
« Nous étions convaincu·es que les enfants pouvaient comprendre beaucoup plus qu’on ne le pense »
Cartoon Fantasy : Pour commencer j’aimerais revenir sur la genèse du projet et de votre collaboration, on peut voir au générique « sur une idée originale de Liane-Cho Han », mais je me demandais quand Maïlys avait rejoint l’aventure ?
Liane-Cho : Effectivement, je connais Maïlys depuis plus de dix ans. Nous étions d’abord à l’école des Gobelins ensemble, il y a fort longtemps ! Maïlys est sortie en 2009, je suis sorti en 2007. Mais c’est surtout sur le film Le Petit Prince que nous nous sommes rencontrés en travaillant en tant que storyboarders, et on s’est vraiment « trouvé·es » à ce moment-là. On avait cette sensibilité très commune qui est le rapport avec les personnages, comment travailler leurs émotions, construire leurs émotions et leurs arches narratives tout le long du film. Et Maïlys a ensuite commencé à travailler sur le film Tout en haut du monde de Rémi Chayé et elle m’a recommandé auprès de Rémi, et nous avons commencé à former tous les trois, puis ensuite avec bien d’autres, dont notre directeur artistique et co-scénariste Eddine Noël, cette « famille » artistique. Puis, avec Calamity ensuite bien sûr, on s’est encore retrouvé·es.

Et pour ce film-ci, est-ce qu’il y a un moment précis où tu t’es dit :« il me faut absolument Maïlys sur ce projet, j’ai besoin de sa vision, de ses compétences, … ? »
Liane-Cho: Maïlys a trois enfants, des jumelles et une plus grande. Moi j’ai un enfant de sept ans et demi et je pense qu’à ce moment-là on s’est rendu compte que non, ce n’est pas juste Amélie qui se prend pour Dieu, ce sont tous les enfants qui se prennent pour des dieux. Et donc j’ai immédiatement acheté le livre à Maïlys, une des meilleures narratrices que je connaisse dans tout le métier.
Maïlys : Il était hyper enthousiaste !
Liane-Cho : Donc il était évident que j’avais besoin d’elle pour faire le film. Elle se l’est approprié pour donner cette énergie incroyable pleine de sensibilité, et cette force qu’elle a pour propulser une histoire.
Comment vous êtes-vous réparti·es le travail sur la production ? Est-ce que vous avez des approches complémentaires ?
Maïlys : Pour la petite histoire, on a été entrecoupé·es par plein de choses mais j’étais dès le début aux côtés de Liane-Cho. En parallèle j’avais signé pour un autre long métrage, mais qui ne s'est finalement pas fait, puis j’ai été enceinte de mes jumelles… Enfin, plein de péripéties au départ, mais j’étais quand-même là pour le pilote, et après pour toute la phase d’écriture. Cette phase a représenté un énorme travail, qui nous a pris des années et a même failli mettre en danger la fabrication du film ! En fait, on a tellement voulu pousser l’écriture à son maximum, on l’a terminé à six mains avec Eddine Noël, qui a fait énormément à nos côtés. Avant, on était avec Rémi [Chayé] sur les autres films, et là ça s’est déporté, c’est vraiment devenu Eddine le troisième membre de ce trio.

Et ensuite, effectivement à cause de cette phase d’écriture qui a été si longue, il a fallu scinder les postes pour être plus efficace sur la fabrication du film. Moi je me suis occupée de tout ce qui allait être narratif, dans la globalité, et Liane-Cho est parti plus sur la fabrication, les personnages, gérer des grosses équipes. Et Eddine Noël, notre directeur artistique, était sur les décors. Et c’est la symbiose de ces trois choses qui fait la force du film. Je pense qu'on aurait jamais pu le pousser aussi loin, graphiquement et narrativement, si on n'avait pas été là tous les trois.
Liane-Cho : Et puis, plus largement, on se connaissait depuis tellement d’années avec toute l’équipe. Ce qui est incroyable c’est qu’en France nous sommes tellement riches de ces différents films, ces différents graphismes, mais à chaque fois on a l’impression qu’il faut réinventer la roue. Alors que là, on utilise le même pipeline depuis des années avec cette équipe, tout en essayant de l’optimiser un peu plus au fur et à mesure des productions. Quand je dis pipeline, c’est-à-dire les méthodes de fabrication, le logiciel, notre ami Flash (rires)
Flash ! ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu ce nom ! (rires) Ce n’est pas un peu compliqué de faire un long métrage là-dessus en 2025 ?
Maïlys : Enfin, [Adobe] Animate plus exactement, Rémi veut faire son prochain film sur Flash CS6 d’ailleurs, c’est un délire (rires)
Liane-Cho : C’est le meilleur logiciel du monde !
Maïlys : Alors, ça fait débat…Pour le [story]board en tout cas c’est bien !
Liane-Cho : Même pour tout le film c’était vraiment un lifesaver, mais effectivement ça nous a permis d’optimiser le travail, les gens savaient ce qu’ils devaient faire, et ça nous a permis de nous concentrer plus sur les émotions, etc. Bref tout ce sur quoi on essaye d’économiser habituellement quand on essaie de réinventer la roue à chaque fois.
Maïlys : Comme les méthodes d’animations japonaises en fait, pour nous l'important c’est vraiment le fond plus que la forme, donc si on pouvait pérenniser quelque chose que l’on connaissait déjà, surtout que l’on était déjà co-auteurs sur les films de Rémi avant. L’idée ici, c’était vraiment que les co-auteurs graphiques — et par extension toutes les personnes qui ont travaillé avec nous sur des projets antérieurs — utilisent des méthodes de travail qui soient communes à tous·tes et dont iels ont l’habitude.
Le roman est à destination d'un public plutôt adulte et votre film se veut accessible pour tous les âges, même pour les enfants. Comment avez-vous construit le film étant donné qu'il fallait presque changer la cible et le rendre accessible pour tous·tes ?
Liane-Cho : Eh bien, ce fut un gros défi ! Effectivement, Amélie Nothomb écrit pour les adultes habituellement, c’est ce qui a engendré cette longue phase de réécriture. Avec Maïlys, nous voulions absolument que cette voix off puisse retranscrire au maximum la patte littéraire d’Amélie Nothomb, que ce soit dans son humour caustique, dans ses moments de lyrisme également. Nous étions convaincu·es que les enfants pouvaient comprendre beaucoup plus qu’on ne le pense, malgré les mots compliqués qu’elle peut utiliser, sous un angle différent de celui des adultes.
Le fameux film « à plusieurs niveaux de lecture », j’ai l’impression que c’est l’objectif ultime pour tout réalisateur !
Liane-Cho : Absolument.
Maïlys : Mais extrêmement difficile à faire en réalité, un véritable numéro d’équilibriste.
Liane-Cho : Oui c’est ça, je pense que « équilibriste » résume le mieux la chose, on nous a souvent incité·es à en enlever, alors que parfois il fallait en rajouter ou parfois y’en avait trop, et parfois il fallait en enlever, et ce jusqu’à la dernière minute…
Maïlys : Oui sur l’écriture de la voix off, on a finalement dû faire un choix qui sortait complètement de l’ordinaire pour nous. On est habitué à enregistrer les voix définitives en premier puis venir animer par dessus. Céline Ronté, notre directrice de casting, nous a proposé d’enregistrer les voix définitives de tout le monde et surtout de la voix off, en toute fin du film, en post-prod. Ce qui fait que dans le cas présent on a travaillé sur des voix témoins que j’ai enregistrées avec mon monteur pour faire l’animation, et on a réécrit jusqu’au dernier moment la voix off.
« On a cette volonté avec Maïlys depuis X années, que le public oublie qu'il est en train de regarder un film d’animation, et qu’il est en train de regarder du “vrai cinéma” ».
J’avais lu qu’il y avait un enjeu sur le lip-sync en effet, que vous aviez utilisé des « rough animation de bouches », puis les comédien·nes avaient enregistré par dessus, et les animateur·ices étaient repassés ensuite dessus pour s’adapter à leurs improvisations et à leur jeu plus organique ?
Liane-Cho : C’est une méthode qu’on utilisait déjà sur Tout en haut du monde, parce que bien sûr nous avons les budgets que nous avons en France et nous ne pouvons pas faire du labiale parfaitement. Mais ce qu’on disait déjà depuis Tout en haut du monde, qui a été ensuite retranscrit par Juliette [Laurent, Directrice de l’animation], c’est qu’on voulait environ 5 [formes de] bouches par expressions. J’aime bien dire que l’on fait un peu comme du « muppet show », c’est simplement ouvert/fermé et pourtant ça véhicule tellement d'émotions. C’est une caricature bien sûr ! Mais l’animation japonaise c’est aussi à peu près le cas.
Maïlys : Ça se joue aussi beaucoup dans les regards, comme les regards sont omniprésents, on pouvait être confiants dans ce rapport au labial, comme on regarde surtout les yeux.
Vous, en plus, c’est vraiment votre force, je le vois depuis Tout en haut du monde, y’a vraiment un truc dans les expressions faciales, dans les yeux, tout passe là-dedans, et là, encore plus, grâce au chara design tout rond d’Amélie, ses grands yeux expressifs…
Liane-Cho : On a cette volonté avec Maïlys depuis X années, que le public oublie qu'il est en train de regarder un film d’animation, et qu’il est en train de regarder du « vrai cinéma ».
Mais l’animation est du vrai cinéma !
Maïlys : Mais tout à fait et on défend ça à fond. Et surtout, on veut pas tomber dans des logiques trop codées, on veut rester sur du sensoriel en fond et creuser les personnages, leur donner un background. Enfin tout est lié à l’écriture, c’est pour ça qu’on a poussé l’écriture à fond. Mais ensuite, pour que ça déroule, que ce soit au board ou à l’animation, il faut que ce soit vraiment très clair, sur toutes les intentions. Donc on a une ultra cohérence dans notre démarche artistique sur l’identité du film, l’identité des personnages que l’on déploie, c’est quelque chose qui nous tenait vraiment à cœur. Et avec cette grammaire cinématographique à hauteur d’enfant, qui était éminemment centrale et notre fil conducteur principal, aller au gré des choses que l’enfant va voir, va ressentir, à fleur de peau à fleur de…cristallin !
Liane-Cho : Maïlys a ce terme qu’elle emploie souvent qui est « une narration à proximité des personnages », à travers leurs yeux, leurs émotions, leur toucher, leur ressenti, et c’est ce qui nous rapproche énormément, on a envie que l’audience soit en empathie complète avec les personnages, puisse vraiment ressentir la même chose et c’est notre défi à nous depuis des années.
Maïlys : Oui, ce qui a fait qu’on avait une émulation commune avec Liane-Cho, qu’on frétillait de ça, dès qu’on pouvait tendre des scènes et mêler nos personnages dans des chorégraphies, c’est vraiment notre dada ça ! (rires)
Liane-Cho : Parfois presque trop, on est parfois presque trop pointilleux, sur la forme du sourcil, l’ouverture, … ça change tout. Il suffit qu’entre les cils et la pupille il y ait un peu de blanc pour montrer un peu plus d’intensité, enfin il y a tous ces petits détails
Maïlys : Et il ne s'agit pas d’avoir un dessin ultra parfait, nous ça nous importe peu. Des fois nos chef layout — et c’est une très grande qualité — voulaient être très corrects sur la forme des personnages dans la perspective. Et on a dû parfois leur dire : « Mais non, suivez le board, pétez un peu vos formes, trichez, n'hésitez pas, il faut que l’on soit dans l’intention et pas dans l’exactitude, de la perspective ». Parce que ça solidifiait parfois trop l’image et il fallait que l’on reste dans quelque chose de chaleureux et d’organique et c’est vraiment de l’ordre du ressenti qui est propre à chacun·e, donc c’est très difficile de pouvoir accorder tous les violons ; mais là, c’est cool, car nos équipes ont vraiment très bien capté cet enjeu-là et se sont emparées du truc.
ℹ️Layout : Les layout-artists créent à partir du storyboard la composition des scènes en posant les personnages (blocking), les accessoires, et les angles de caméra dans le cadre. |

Donc plutôt que de rester absolument « au modèle » et très rigide, les équipes au layout avaient beaucoup de libertés en somme ?
Liane-Cho : Même les animateurs de chez Disney de l’époque disaient « on n’est pas au modèle au niveau du dessin, on est au modèle au niveau de la personnalité du personnage. »
Maïlys : Même nous sur les photos au final, tu le vois, on n’est pas toujours au modèle ! (rires) Et pareil pour les personnages d’animation, si on les fige trop, on perd en liberté, surtout dans notre cas où on a des formes qui sont assez froides, en aplats etc.
Liane-Cho : Le plus important c’est l’émotion, et le dessin, la justesse, doivent s’adapter à celle-ci et pas l’inverse.
Oui d’ailleurs tout cela, c’est permis par le chara-design de Marion Roussel, il me semble !
Maïlys : Oui avec moi et Marietta [Ren] au tout début aussi, qui a aidé à faire des recherches à l'aquarelle, et qui ont vraiment permis de poser les premières bases des personnages.
Liane-Cho : Ce grand front qu’a Amélie par exemple, ça vient des recherches de Marietta !

Maïlys : Enfin, on avait aussi des photos d’Amélie [Nothomb] jeune sur lesquelles se baser, mais elle a une drôle de tête (rires).
Je suis retombé sur des designs préliminaires dans d'anciennes interviews et j’ai vu que le chara avait pas mal changé. Vous avez eu du mal à le fixer ?
Maïlys : En fait, c’est venu assez naturellement. On s’est pas trop pris la tête sur le chara-design, car encore une fois l'important c'était l’intention et ce que dégageait le personnage. Donc, dès qu’on avait capté quelque chose au
storyboard, si on avait tel ou tel dessin qui nous semblait agréable à dessiner, à prendre en main, et avec finalement dans les posings tout ce qu’il fallait ressentir sur le personnage, alors on se disait « c’est bon » et on le bloquait. Et puis, on avait des références photos pour la grand-mère, Nishio-san…
De mon côté, pour Nishio-san, je me suis inspiré d’une nounou de mes filles, Ludivine, qui est très solaire, qui est tout en courbe sur le sourire et donc Nishio-san a été pensée sur des courbes de sourire.
Ah c’est marrant, donc tu t’es basée sur une personne de ton entourage pour porter à l’écran le personnage du roman ! Parce que j’imagine que Nishio-san est déjà décrite ainsi dans le roman original de Nothomb, mais tu avais besoin d’une représentation visuelle de cette personnalité sur laquelle t’appuyer également ?
Maïlys : C’est vraiment dans l’approche qu’on peut avoir avec les enfants, cette attention particulière et cette chaleur humaine, et Ludivine elle avait ça, et aussi dans les formes, vraiment cette coupe de cheveux avec ce tee-shirt et des vêtements amples, qui sont à la mode au final aujourd'hui, mais qui correspondent au Japon de l'époque
Liane-Cho : Et je pense que c’est hyper important de s’inspirer de personnes que l’on connaît, car on insuffle une âme au personnage et une âme ça ne s’invente pas, et donc on a besoin de la vie, de ce qu’on observe pour l'insuffler dans les personnages que l’on dessine.

Maïlys : Et pour la grand-mère par exemple, je me suis inspirée de la grand-tante dans la série Anne avec un E qui m’avait époustouflée. Ça a vraiment été une des bases car son jeu était fou et pour Juliette [la sœur d’Amélie], Marion avait pris Jodie Foster enfant, et c’est vrai qu’elle ressemble beaucoup du coup.
Et pour Kishima-san alors, sur quel modèle de marâtre vous l’avez dessinée ?
Maïlys : En fait ça a été un travail, un peu à part. C’est Hanne Galvez, cheffe layout posing, qui a vraiment pris en main ce personnage, et elle a très bien géré d’ailleurs, enfin ça avait déjà commencé à être mis en place par Marion et moi pour, on va dire sa structure générale, mais Hanne l’a poussé pour qu’elle ait cette grâce, ce côté très statue, très froide et magnifique.
Oui elle est toujours très digne, elle a une prestance, elle incarne ce vieux Japon d’avant-guerre.
Maïlys : Très traditionnelle, tout à fait : il fallait presque que son visage soit hypnotique.
C’est vrai que c’est fascinant comme tout est cohérent, les chara designs reflètent la personnalité des personnages, et les couleurs viennent renforcer encore une fois ces partis pris. À quel moment est venue l’idée de créer un chara-design sans line art ? Est-ce que c’était pour renforcer l’aspect « poche de couleurs » des personnages ?
Maïlys : En fait moi je fais ça depuis l’école, je crois que je n'ai jamais travaillé avec le trait. Je pense que ça a surtout à voir avec un rapport au réalisme, et à ce désir sensoriel, car si on met un trait ça casse cette image qui est finalement un rendu plutôt impressionniste où on peut jouer avec les lumières qui rentrent et qui découpent les formes. Et pour nous, c’est aussi une méthode de travail qu’on avait depuis longtemps avec l’équipe et qui nous permettait de faire des choix de mise en scène, des flous de focus, des choses que l'on ne faisait pas d’ailleurs sur les autres films. Et quelque part, c’est plus agréable de le faire sur des formes où tu n’as pas d'interruption avec le décor.
Liane-Cho : Et on adore quand la lumière percute le personnage sans qu’il y ait un trait de contour pour barrer le passage et cette forme un peu pastellisée qui donne encore plus de douceur.
Maïlys : Oui le petit crénelé qui a été travaillé au compositing par Tevy Dubray, c’est elle qui a mis ça en place sur le pilote, et c’était déjà le cas sur Calamity et Tout en haut du monde, mais là on a vraiment poussé la craie, le rendu.
Liane-Cho : Intensifier un peu plus, car techniquement c'est pas toujours évident mais bien sûr c’est ça qui est intéressant.
Maïlys : Faut la contrôler !
Liane-Cho : À force d’optimisation de ce même pipeline, on arrive parfois à des solutions, on réinvente pas la roue, et c’était important pour nous comme je disais toute à l’heure de se concentrer sur l’essentiel, sur la narration, sur les émotions, plutôt que d’essayer de comprendre comment on va fabriquer ça.
Maïlys : Si on avait pas fait ça on était dedans (rires) Le film ne se faisait pas.
« Mais là, il y avait une espèce d'énergie, un aboutissement, avec cette “famille”, tous ces gens qui ont travaillé, ont contribué à ce style. »
Justement par rapport à cette question de continuité et d’héritage, comment garde-t-on une certaine identité graphique, celle de « la bande à Chayé », tout en essayant de se renouveler et d’apporter sa propre singularité ?
Maïlys : On a tous des familles graphiques différentes, encore une fois j’insiste sur le fond plus que la forme, car il se peut qu’on fasse des films différents les prochaines fois, là on s’inscrivait dans cette rampe de Tout en haut du monde, Calamity, Amélie, et peut être que ce sera le dernier qu’on fait nous de cette manière là, ou peut-être pas, mais là il y avait une espèce d'énergie, un aboutissement, avec cette « famille » vraiment, tous ces gens qui ont travaillé, ont contribué à ce style, et ont poussé la technique en plus à chaque étape , et donc c’est au final un hommage à notre équipe que de perpétuer ça.
Liane-Cho : Et c’est un hommage extrêmement touchant car nous avons remporté le prix du public, et effectivement ça m’a fait une espèce de madeleine de Proust, où dix ans plus tôt, pour Tout en haut du monde, Rémi, la scène, Bonlieu, la standing ovation, et le prix du public aussi.
La boucle est bouclée !
Liane-Cho : Tout à fait, et fort en émotion.
Parce qu’il ne s’agissait pas de faire « Calamity 2 » non plus.
Liane-Cho : Non bien sûr, et puis ce ne sont pas les mêmes films, ni les mêmes propos, ni le même sujet.
Maïlys : Oui et puis ce n’est pas vraiment la même DA non plus, là du coup on a eu des choix particuliers qui ont été faits. La méthode de décor a changé, c’est pas du tout le même système qui a été mis en place sur Calamity. Pour Amélie, il s’agissait vraiment de travailler le Layout BG [décors au trait] extrêmement rapidement pour laisser tout le loisir d’étendre les capacités artistiques de nos « peintres de décors » ! Car là, c’est de la peinture à la touche, c’est vraiment une section qui a été scindée, qui n’est pas dans la même méthode de travail que ce qu’on avait avant. Pour pouvoir être peut-être plus chaleureux, plus dans les erreurs aussi, car il y a aussi pleins de choses qui viennent spontanément. Donc ça ce sont des choses qui ont été voulues par Eddine, Justine et Simon, …
Justine Thibault en particulier est la garante de ce style impressionniste : quand on voit ses illustrations, ça saute aux yeux !
Maïlys : Oui bien sûr, elle est centrale. C’est la cheffe décor couleur et elle a vraiment été choisie pour ses capacités exceptionnelles de peinture plein air que l’on sent. Et puis il y aussi tous nos décorateurs couleurs qui sont balèzes, car ils ont tous réussi à être au niveau de Justine, et à suivre ce color script qui est hyper riche, hyper divers sur tout le film, quand on repasse le prisme coloré de chaque séquence, faut quand même savoir jongler entre les couleurs électriques, sombres, bleutées… C’était vraiment un 50/50 au colorscript, Justine et Simon [Dumonceau] et c’était vraiment deux forces qui se complétaient totalement. Justine, elle a vraiment une force, une puissance sur tout ce qui va être nature ou même coucher de soleil, et il y a des puissances qui se rejoignent entre les deux et ils sont très fort·es pour faire tout, les deux, mais je trouve que Simon il arrive à mettre une profondeur dans les images, dans toutes les petites teintes hyper subtiles, magiques, électriques, sur un truc plutôt fade et tout à coup trouver le bon turquoise qui va faire « boom ! » et te sauter au visage. La complémentarité des deux est stupéfiante. Et Eddine au milieu de ça a vraiment joué le chef d’orchestre pour que tout ça s’imbrique en grande cohérence, parce que c’était pas non plus gagné que toutes ces ambiances parfois différentes puissent s'entremêler et s’imbriquer parfaitement. Il y a un vrai travail de coordination.
ℹ️ Color script : Phase de pré-production qui consiste à définir l’ambiance d’un film à travers la couleur. |

Liane-Cho : Et heureusement on a eu cette chance d’avoir un huis clos, que tout se passe dans une maison japonaise, où effectivement on peut souligner qu’Eddine est l’architecte de cette maison : elle a été modélisée en 3D, et plutôt que de faire du layout posing dans toutes les scènes de maison, chacune des scènes était plutôt des « screenshots » pour travailler la focale. Par contre, le gros travail de l’équipe de Justine était vraiment de faire tous les éléments, tous les objets, tous les détails, tout ce qui manquait, la lumière, …
Maïlys : …La cafetière, l’aspi, le bocal…
Oui, d’ailleurs, est ce que vous avez fait appel à quelque chose comme un « consultant culturel » pour garantir une certaine fidélité de cette maison japonaise ?
Maïlys : En fait, c’est surtout Eddine, qui a un rapport assez particulier au pays. Déjà, il est fan de décor japonais depuis toujours. Et puis sa compagne est d’origine japonaise. Il a vraiment été notre garde-fou, et on voulait vraiment être très correct sur ce sujet, mais notre chance c’est qu’on avait pas non plus 1000 trucs du Japon à représenter, à part une maison traditionnelle. Et heureusement que l’on ne va pas trop en ville : si on avait attaqué la ville, alors là, ça aurait été autrement plus complexe. Là, on est dans les montagnes du Kansai, en pleine nature, et on a quand même référencé tous les arbustes ! Et pareil pour la séquence à la mer, à la plage de Totori, [pour] la faune marine, on a fait des recherches sur à peu près tout. Et par exemple, le temple shintoïste / bouddhiste, ça a été des discussions, et tout ce qui allait être imagerie du Japon, les yokai, lequel on allait choisir. J’aime bien les clins d’œil aussi, comme avec les petites statuettes, les Jizo : quand on ne connaît pas, on se dit que ce sont juste des statues, mais en fait ils représentent des enfants décédés.
Liane-Cho : Et parfois, on a beaucoup de chance : par exemple, on avait besoin d'un événement pour illustrer le deuil, et qui se passe en août idéalement pour suivre la chronologie de l’histoire, et c’est là qu'on a découvert Obon [la fête des morts japonaise]. Cette séquence n’est pas présente dans le livre original de Nothomb, et pourtant s'intègre parfaitement à notre histoire !
Maïlys : Il fallait quelque chose sur l’arc de la mort, et c’était parfait pour illustrer ça.
Et Amélie Nothomb a vu le film d'ailleurs et nous a dit qu’elle a vraiment vécu cet événement étant petite, et donc ça aurait pu être dans le livre et elle a trouvé ça stupéfiant qu’on l'ait intégré !
Merci à Liane-Cho Han et Maïlys Vallade pour leur temps et leurs réponses très complètes. Merci également à Monica et Alice d’avoir organisé cette interview et à Maybe Movies de nous avoir reçu dans leurs locaux.